Quelle meilleure façon de terminer l'année scolaire qu'avec une jolie plainte de parent? Ça fait toujours chaud au coeur et ça me rassure en me faisant réaliser que j'occupe une place dans leurs pensées.
Avant d'en venir à ce qui est sûrement l'une des plaintes les plus stupides qu'il m'ait été donné de voir, un peu de contexte.
En plus des livres que j'achète avec le budget que l'école met à ma disposition, j'ai également des livres que j'ai payés de ma poche au cour des années et que je prête aux enfants. Je le fais parce que les bibliothèques de classe sont généralement aussi risibles que les budgets et j'ai besoin de livres pour que ma classe roule. Je le fais aussi parce que j'en ai besoin pour enseigner le français à ma façon et efficacement. Finalement, je le fais parce que ça me permet de trimbaler MES livres d'une école à l'autre.
Bref, cette année ne fait pas exception et j'ai prêté de nombreux livres qui m'appartiennent aux enfants. J'ai mis en place un système simple qui me permet de m'assurer que tous les livres me sont remis. Tous les enfants ont facilement compris le système et tous m'ont remis mes livres une fois qu'ils en avaient terminé. Tous? Non. Il y en a un, toujours le même, appelons-le Gavroche, qui n'a pas respecté le système, comme d'habitude. Voyez-vous, les règles et les petits systèmes simples qui assurent un bon fonctionnement de la classe ne concernent pas Gavroche. Il est bien au-dessus de tout cela.
Comme tous les livres ont été rendus et qu'il ne m'a jamais indiqué avoir remis celui que je lui avais prêté, je demande à Gavroche de me le remettre. Il me répond qu'il l'a déjà remis. Très bien, réponds-je, alors fouille dans la boîte où les livres ont été placés et montre-le moi, sans quoi tes parents devront me rembourser. Pendant que je vaque aux nombreuses autres occupations qui me tiennent bien occupé, je ne me préoccupe pas de Gavroche et de la boîte. J'ai vraiment, vraiment d'autres chats à fouetter. Peu après, je vois que la boîte est de retour à sa place. Gavroche me dit qu'il n'a pas trouvé le livre. Très bien, dis-je, tes parents vont recevoir une facture. Après consultation avec la direction, on m'explique que l'école ne peut pas émettre de facture car le livre ne lui appartient pas, mais on m'accorde la permission de communiquer moi-même avec le parent. La secrétaire accepte de lui envoyer un courriel avec un lien vers le site de Renaud-Bray qui identifie le livre et sa valeur: 12,95$.
Le père de Gavroche me répond, sur un ton outré et plutôt fendant, que son fils affirme avoir remis le livre et qu'il n'est pas un menteur. Très bien, réponds-je calmement, drapé de ma patience quasi-infinie, il y a donc deux possibilités: soit Gavroche n'a pas bien vérifié dans la boîte, soit il a perdu le livre. J'informe le père que je vais demander à son fils de vérifier à nouveau et que je vais le tenir au courant. Dès le début des classes, j'installe donc Gavroche tout à côté de moi, où je peux l'avoir à l'oeil et je lui demande de vider la boîte et de retrouver le livre que je lui ai prêté. Après une quinzaine de minutes, il le retrouve. Très bien, dis-je, tout est bien qui finit bien. J'envoie un courriel au père pour lui dire que le livre a été retrouvé et lui souhaiter une excellente journée.
On en arrive enfin à la ridicule plainte. Voici le courriel que le père a fait parvenir à la direction, avec copie conforme à la secrétaire et à moi-même. Seuls les noms ont évidemment été changés.
Bonjour M. CXXXX,
Je me dois de porter à votre attention une situation qui s’est produite récemment à votre école et qui m’a déçu énormément. Svp, lire le courriel de Mme. MXXXX (son courriel est inclus à la fin)pour savoir les détails de la situation présente. il m’apparait donc nécessaire de faire une mise au point concernant cette situation même si elle est maintenant résolue. Comme vous pouvez le constater, j’ai aussi copié M. Prof Solitaire et Mme. MXXXX dans le présent courriel par soucis de transparence.
1- M. Prof Solitaire aurait dû personnellement aller vérifier si le livre se trouvait bel et bien dans la boite au lieu de demander à mon fils de vérifier si le livre était bel et bien dans la boite. Ce qu’il n’a pas fait. Il aurait dû car il aurait trouvé le livre immédiatement et on aurait pas eu de courriel déplaisant de Mme. MXXXX à cet effet. Après tout c’est sa collection personnelle (je me questionne d’ailleurs sur le bien fondé d’utiliser des livres d’une collection personnelle sachant très bien que des enfants pourraient très bien perdre un de ses livres). Mon fils a toujours pris soin des choses qui ne lui appartiennent pas.
2- Au risque de me répéter, le courriel que Mme. MXXXX nous a envoyé, n’aurait jamais dû être envoyé en premier lieu si toutes les vérifications d’usage avaient été faites correctement en classe. Et ce n’est surtout pas vrai que Gavroche aurait dit qu’il avait perdu le livre en question (comme c’est dit dans le courriel de Mme. MXXXX puisqu’il se rappelait très bien de l’avoir remis lorsqu’on lui avait demandé (une autre verification non effectuée j'imagine).
À la lumière de tous ces évènements, je crois que je suis en droit de demander des excuses formelles au nom de mon garçon qui est, disons-le franchement, victime dans toute cette affaire là. Je le répète, mon fils Gavroche n’est pas un menteur et je n’accepterai jamais qu’il soit traité de cette façon à l'école.
P.S.: Je trouve vraiment dommage de terminer une année scolaire de cette façon. Gavroche a beaucoup appris avec M. Solitaire et nous lui en sommes reconnaissant. C’est des professeurs comme ça que nos enfants devraient tous avoir.
J’attend donc des excuses pour terminer en beauté cette année scolaire.
* * * * *
J'ai toujours dit que lorsqu'on doit composer avec un enfant qui exhibe des comportements problématiques, on comprend très rapidement la raison desdits comportements en rencontrant les parents. C'est certainement vrai dans ce cas-ci.
La plainte de ce père est débile et pas seulement parce que c'est une tempête dans un verre d'eau.
Premièrement, il me reproche de ne pas être allé moi-même vérifié dans la boîte pour voir si le livre s'y trouvait. Ceci est complètement idiot pour de nombreuses raisons. Tout d'abord, il ne réalise tout simplement pas que j'ai 26 ti-culs à gérer, que je suis très occupé, que je n'ai pas une minute à moi et que j'ai vraiment, vraiment, vraiment d'autres chats à fouetter. C'est pour cette raison que j'ai mis en place un système très simple de prêt et de retour, pour m'éviter de perdre du temps, système qui a bien fonctionné, à part pour son fils qui l'a ignoré allègrement. Mais voilà, pour plaire à Monsieur, il aurait fallu que je mette toutes mes autres obligations sur la glace, que j'ordonne aux 25 autres enfants de retenir leur souffle pendant que je perds mon temps à fouiller dans une boîte pour trouver le livre de Gavroche. Pour ce père, le seul enfant qui a de l'importance, c'est son petit Prince. Et il impensable que le petit Prince ait agi de façon incorrecte! Im-pen-sa-ble. Étrangement, le parfait petit Prince a été incapable de chercher correctement dans la boîte la première fois que je lui ai demandé. Mais comme le petit Prince ne peut être blâmé pour rien, alors forcément, c'est de ma faute et Gavroche est une VICTIME!
Deuxièmement, il remet en question l'idée de prêter des livres qui m'appartiennent aux élèves. Et si je le fais, semble-t-il dire, que je ne vienne pas me plaindre ensuite si des livres sont perdus. Ce reproche est tellement absurde, j'en suis renversé. Voilà un type qui, plutôt que d'être béat d'admiration devant un prof qui paie des livres DE SA POCHE afin que son fils y ait accès, préfère le blâmer et porter plainte contre lui auprès de la direction! Pensez-y une seule seconde! Plutôt que d'être reconnaissant de ma générosité, il porte plainte auprès de mon patron! C'est tout de même extraordinaire! Et voyez ce que ce type est en train d'enseigner à son fils! Que tout lui est dû! Qu'il n'a pas à être reconnaissant envers qui que ce soit. Que si on perd un objet qui appartient à quelqu'un d'autre, c'est la faute de cette personne! Après tout, si on ne veut pas que nos objets soient perdus, on n'a qu'à ne pas les prêter! C'est de la faute du prêteur! Avec un père pareil, on comprend facilement tous les nombreux comportements problématiques de Gavroche!
Troisièmement, personne n'a jamais traité Gavroche de menteur. Pas une seule esti de fois. Je n'insulte pas les enfants, mais je m'attends à ce qu'ils prennent leurs responsabilités. Oui, je sais, quel monstre oppressif et cruel je suis.
Quatrièmement, il y a un contexte à ajouter à tout ceci. Il faut savoir que je travaille dans un coin plutôt, disons, cossu. Il me serait complètement impossible d'acheter une des maisons qui entourent l'école et dans lesquelles vivent mes élèves. Bref, on est ici en présence d'un gros bourgeois qui s'insurge contre un p'tit prof de primaire pour la somme astronomique de 12,95$. Cela rend la chose, me semble-t-il, encore plus odieuse.
Cinquièmement et finalement, il y a la fin de sa lettre qui me met encore plus hors de moi. Le bonhomme déclare qu'il est dommage que l'année se termine ainsi parce que j'ai été un excellent prof et que tous les enfants devraient avoir des enseignants comme moi. Ouais, mais tout ça a moins d'importance à ses yeux que cette ridicule histoire de petit livre. En d'autres termes: "Tu as été excellent, tu as fait un travail exemplaire et tout le monde devrait être aussi compétent que toi, mais je vais tout de même porter plainte contre toi parce que tu as osé prêter un livre à mon fils, tu as osé lui demander de le remettre, tu as osé lui demander de te prouver qu'il te l'avait bien remis, tu as osé le croire lorsqu'il t'a dit qu'il n'était pas dans la boîte et tu as osé me demander de te rembourser la valeur du livre."
Voilà où nous en sommes, mes amis. Voilà où nous en sommes.
La fin de l'histoire?
J'ai envoyé un courriel au directeur pour l'informer que je n'avais rien à me reprocher et qu'il était hors de question que je m'excuse. Il ne m'a pas reparlé de cette affaire, à part pour m'informer très brièvement qu'il avait personnellement répondu au père. J'ignore ce qui a été dit. Depuis, ils est glacial et distant et me regarde comme si j'étais le dernier des cons.
La secrétaire (la même cruche qui a déjà critiqué ma gestion de classe) me tient responsable de toute cette affaire. Dans les jours suivants, j'ai découvert deux livres qui ont été perdus par d'autres élèves, mais qui appartiennent à l'école cette fois-ci. On a fouillé la classe et les bureaux, ils demeurent introuvables. J'ai communiqué les titres des livres et les noms des élèves à la secrétaire. Elle m'a retourné la feuille en y inscrivant: "NON, PAS APRÈS CE COURRIEL." Bref, elle considère que je suis un crétin qui déclare des livres perdus sans qu'ils ne le soient vraiment et elle refuse de faire une facture aux parents. J'en ai informé la direction. S'ils choisissent de ne pas se faire rembourser, alors tant pis pour eux, ce sont leurs livres alors qu'ils se fassent fourrer à leur guise, ça les regarde.
Évidemment, les deux enfants impliqués sont surpris de ne pas devoir rembourser la valeur des livres perdus. Quelle belle leçon de vie ils sont en train d'apprendre, eux aussi. Les actes n'entraînent aucune conséquence. C'est fantastique.
Je racontais tout ça à ma taupe. Vous savez ce qu'elle m'a répondu?
"Moi, je ne gère pas ça, ils ont peut-être perdu plein de livres et je ne le sais même pas. Si tu ne t'en étais pas soucié, tu n'aurais pas eu de problème."
Pardonnez-moi d'avoir été trop consciencieux. Ça ne se produira plus.
Avant d'en venir à ce qui est sûrement l'une des plaintes les plus stupides qu'il m'ait été donné de voir, un peu de contexte.
En plus des livres que j'achète avec le budget que l'école met à ma disposition, j'ai également des livres que j'ai payés de ma poche au cour des années et que je prête aux enfants. Je le fais parce que les bibliothèques de classe sont généralement aussi risibles que les budgets et j'ai besoin de livres pour que ma classe roule. Je le fais aussi parce que j'en ai besoin pour enseigner le français à ma façon et efficacement. Finalement, je le fais parce que ça me permet de trimbaler MES livres d'une école à l'autre.
Bref, cette année ne fait pas exception et j'ai prêté de nombreux livres qui m'appartiennent aux enfants. J'ai mis en place un système simple qui me permet de m'assurer que tous les livres me sont remis. Tous les enfants ont facilement compris le système et tous m'ont remis mes livres une fois qu'ils en avaient terminé. Tous? Non. Il y en a un, toujours le même, appelons-le Gavroche, qui n'a pas respecté le système, comme d'habitude. Voyez-vous, les règles et les petits systèmes simples qui assurent un bon fonctionnement de la classe ne concernent pas Gavroche. Il est bien au-dessus de tout cela.
Comme tous les livres ont été rendus et qu'il ne m'a jamais indiqué avoir remis celui que je lui avais prêté, je demande à Gavroche de me le remettre. Il me répond qu'il l'a déjà remis. Très bien, réponds-je, alors fouille dans la boîte où les livres ont été placés et montre-le moi, sans quoi tes parents devront me rembourser. Pendant que je vaque aux nombreuses autres occupations qui me tiennent bien occupé, je ne me préoccupe pas de Gavroche et de la boîte. J'ai vraiment, vraiment d'autres chats à fouetter. Peu après, je vois que la boîte est de retour à sa place. Gavroche me dit qu'il n'a pas trouvé le livre. Très bien, dis-je, tes parents vont recevoir une facture. Après consultation avec la direction, on m'explique que l'école ne peut pas émettre de facture car le livre ne lui appartient pas, mais on m'accorde la permission de communiquer moi-même avec le parent. La secrétaire accepte de lui envoyer un courriel avec un lien vers le site de Renaud-Bray qui identifie le livre et sa valeur: 12,95$.
Le père de Gavroche me répond, sur un ton outré et plutôt fendant, que son fils affirme avoir remis le livre et qu'il n'est pas un menteur. Très bien, réponds-je calmement, drapé de ma patience quasi-infinie, il y a donc deux possibilités: soit Gavroche n'a pas bien vérifié dans la boîte, soit il a perdu le livre. J'informe le père que je vais demander à son fils de vérifier à nouveau et que je vais le tenir au courant. Dès le début des classes, j'installe donc Gavroche tout à côté de moi, où je peux l'avoir à l'oeil et je lui demande de vider la boîte et de retrouver le livre que je lui ai prêté. Après une quinzaine de minutes, il le retrouve. Très bien, dis-je, tout est bien qui finit bien. J'envoie un courriel au père pour lui dire que le livre a été retrouvé et lui souhaiter une excellente journée.
On en arrive enfin à la ridicule plainte. Voici le courriel que le père a fait parvenir à la direction, avec copie conforme à la secrétaire et à moi-même. Seuls les noms ont évidemment été changés.
Bonjour M. CXXXX,
Je me dois de porter à votre attention une situation qui s’est produite récemment à votre école et qui m’a déçu énormément. Svp, lire le courriel de Mme. MXXXX (son courriel est inclus à la fin)pour savoir les détails de la situation présente. il m’apparait donc nécessaire de faire une mise au point concernant cette situation même si elle est maintenant résolue. Comme vous pouvez le constater, j’ai aussi copié M. Prof Solitaire et Mme. MXXXX dans le présent courriel par soucis de transparence.
1- M. Prof Solitaire aurait dû personnellement aller vérifier si le livre se trouvait bel et bien dans la boite au lieu de demander à mon fils de vérifier si le livre était bel et bien dans la boite. Ce qu’il n’a pas fait. Il aurait dû car il aurait trouvé le livre immédiatement et on aurait pas eu de courriel déplaisant de Mme. MXXXX à cet effet. Après tout c’est sa collection personnelle (je me questionne d’ailleurs sur le bien fondé d’utiliser des livres d’une collection personnelle sachant très bien que des enfants pourraient très bien perdre un de ses livres). Mon fils a toujours pris soin des choses qui ne lui appartiennent pas.
2- Au risque de me répéter, le courriel que Mme. MXXXX nous a envoyé, n’aurait jamais dû être envoyé en premier lieu si toutes les vérifications d’usage avaient été faites correctement en classe. Et ce n’est surtout pas vrai que Gavroche aurait dit qu’il avait perdu le livre en question (comme c’est dit dans le courriel de Mme. MXXXX puisqu’il se rappelait très bien de l’avoir remis lorsqu’on lui avait demandé (une autre verification non effectuée j'imagine).
À la lumière de tous ces évènements, je crois que je suis en droit de demander des excuses formelles au nom de mon garçon qui est, disons-le franchement, victime dans toute cette affaire là. Je le répète, mon fils Gavroche n’est pas un menteur et je n’accepterai jamais qu’il soit traité de cette façon à l'école.
P.S.: Je trouve vraiment dommage de terminer une année scolaire de cette façon. Gavroche a beaucoup appris avec M. Solitaire et nous lui en sommes reconnaissant. C’est des professeurs comme ça que nos enfants devraient tous avoir.
J’attend donc des excuses pour terminer en beauté cette année scolaire.
* * * * *
J'ai toujours dit que lorsqu'on doit composer avec un enfant qui exhibe des comportements problématiques, on comprend très rapidement la raison desdits comportements en rencontrant les parents. C'est certainement vrai dans ce cas-ci.
La plainte de ce père est débile et pas seulement parce que c'est une tempête dans un verre d'eau.
Premièrement, il me reproche de ne pas être allé moi-même vérifié dans la boîte pour voir si le livre s'y trouvait. Ceci est complètement idiot pour de nombreuses raisons. Tout d'abord, il ne réalise tout simplement pas que j'ai 26 ti-culs à gérer, que je suis très occupé, que je n'ai pas une minute à moi et que j'ai vraiment, vraiment, vraiment d'autres chats à fouetter. C'est pour cette raison que j'ai mis en place un système très simple de prêt et de retour, pour m'éviter de perdre du temps, système qui a bien fonctionné, à part pour son fils qui l'a ignoré allègrement. Mais voilà, pour plaire à Monsieur, il aurait fallu que je mette toutes mes autres obligations sur la glace, que j'ordonne aux 25 autres enfants de retenir leur souffle pendant que je perds mon temps à fouiller dans une boîte pour trouver le livre de Gavroche. Pour ce père, le seul enfant qui a de l'importance, c'est son petit Prince. Et il impensable que le petit Prince ait agi de façon incorrecte! Im-pen-sa-ble. Étrangement, le parfait petit Prince a été incapable de chercher correctement dans la boîte la première fois que je lui ai demandé. Mais comme le petit Prince ne peut être blâmé pour rien, alors forcément, c'est de ma faute et Gavroche est une VICTIME!
Deuxièmement, il remet en question l'idée de prêter des livres qui m'appartiennent aux élèves. Et si je le fais, semble-t-il dire, que je ne vienne pas me plaindre ensuite si des livres sont perdus. Ce reproche est tellement absurde, j'en suis renversé. Voilà un type qui, plutôt que d'être béat d'admiration devant un prof qui paie des livres DE SA POCHE afin que son fils y ait accès, préfère le blâmer et porter plainte contre lui auprès de la direction! Pensez-y une seule seconde! Plutôt que d'être reconnaissant de ma générosité, il porte plainte auprès de mon patron! C'est tout de même extraordinaire! Et voyez ce que ce type est en train d'enseigner à son fils! Que tout lui est dû! Qu'il n'a pas à être reconnaissant envers qui que ce soit. Que si on perd un objet qui appartient à quelqu'un d'autre, c'est la faute de cette personne! Après tout, si on ne veut pas que nos objets soient perdus, on n'a qu'à ne pas les prêter! C'est de la faute du prêteur! Avec un père pareil, on comprend facilement tous les nombreux comportements problématiques de Gavroche!
Troisièmement, personne n'a jamais traité Gavroche de menteur. Pas une seule esti de fois. Je n'insulte pas les enfants, mais je m'attends à ce qu'ils prennent leurs responsabilités. Oui, je sais, quel monstre oppressif et cruel je suis.
Quatrièmement, il y a un contexte à ajouter à tout ceci. Il faut savoir que je travaille dans un coin plutôt, disons, cossu. Il me serait complètement impossible d'acheter une des maisons qui entourent l'école et dans lesquelles vivent mes élèves. Bref, on est ici en présence d'un gros bourgeois qui s'insurge contre un p'tit prof de primaire pour la somme astronomique de 12,95$. Cela rend la chose, me semble-t-il, encore plus odieuse.
Cinquièmement et finalement, il y a la fin de sa lettre qui me met encore plus hors de moi. Le bonhomme déclare qu'il est dommage que l'année se termine ainsi parce que j'ai été un excellent prof et que tous les enfants devraient avoir des enseignants comme moi. Ouais, mais tout ça a moins d'importance à ses yeux que cette ridicule histoire de petit livre. En d'autres termes: "Tu as été excellent, tu as fait un travail exemplaire et tout le monde devrait être aussi compétent que toi, mais je vais tout de même porter plainte contre toi parce que tu as osé prêter un livre à mon fils, tu as osé lui demander de le remettre, tu as osé lui demander de te prouver qu'il te l'avait bien remis, tu as osé le croire lorsqu'il t'a dit qu'il n'était pas dans la boîte et tu as osé me demander de te rembourser la valeur du livre."
Voilà où nous en sommes, mes amis. Voilà où nous en sommes.
La fin de l'histoire?
J'ai envoyé un courriel au directeur pour l'informer que je n'avais rien à me reprocher et qu'il était hors de question que je m'excuse. Il ne m'a pas reparlé de cette affaire, à part pour m'informer très brièvement qu'il avait personnellement répondu au père. J'ignore ce qui a été dit. Depuis, ils est glacial et distant et me regarde comme si j'étais le dernier des cons.
La secrétaire (la même cruche qui a déjà critiqué ma gestion de classe) me tient responsable de toute cette affaire. Dans les jours suivants, j'ai découvert deux livres qui ont été perdus par d'autres élèves, mais qui appartiennent à l'école cette fois-ci. On a fouillé la classe et les bureaux, ils demeurent introuvables. J'ai communiqué les titres des livres et les noms des élèves à la secrétaire. Elle m'a retourné la feuille en y inscrivant: "NON, PAS APRÈS CE COURRIEL." Bref, elle considère que je suis un crétin qui déclare des livres perdus sans qu'ils ne le soient vraiment et elle refuse de faire une facture aux parents. J'en ai informé la direction. S'ils choisissent de ne pas se faire rembourser, alors tant pis pour eux, ce sont leurs livres alors qu'ils se fassent fourrer à leur guise, ça les regarde.
Évidemment, les deux enfants impliqués sont surpris de ne pas devoir rembourser la valeur des livres perdus. Quelle belle leçon de vie ils sont en train d'apprendre, eux aussi. Les actes n'entraînent aucune conséquence. C'est fantastique.
Je racontais tout ça à ma taupe. Vous savez ce qu'elle m'a répondu?
"Moi, je ne gère pas ça, ils ont peut-être perdu plein de livres et je ne le sais même pas. Si tu ne t'en étais pas soucié, tu n'aurais pas eu de problème."
Pardonnez-moi d'avoir été trop consciencieux. Ça ne se produira plus.