Je crois que nous pouvons tous nous entendre sur une chose: le colonialisme est une forme d'asservissement des peuples tout simplement répréhensible, toxique et détestable.
Cela n'est pas moins vrai lorsque le projet colonial est implanté avec succès.
Extraits de l'article d' Alain Deneault, directeur de programme au Collège international de philosophie de Paris:
Comprendre le Canada suppose qu’on en aborde la réalité du point de vue de sa genèse coloniale. Sans quoi, toute lecture rétrospective risque de subordonner la conscience qu’on s’en fait au mythe trudeauiste de l’hospitalité libérale ou au récit pearsonien du chantre pacificateur de la planète. […] Combien ont fait l’impasse sur les intérêts qui ont présidé à la fondation de ce comptoir commercial qu’a été et que reste fondamentalement le Canada, et sur la nature criminelle de son évolution !
« Un Congo de Léopold II réussi». Ainsi peut-on en peu de mots résumer le Canada dans sa mouture de 1867. L’expression rend compte de l’esprit du temps de sa fondation, de l’idéologie qui préside à sa création ainsi que du projet fondamentalement impérialiste et commercial qu’il réalise.
Pourquoi Léopold II ? Parce que le vulgaire potentat belge souhaitait lui aussi une colonie à cette époque et qu’il constitue en quelque sorte l’idéal type du projet colonial européen du XIXe siècle d’inspiration britannique. Son maître à penser en la matière, le juriste James William Bayley Money, en a cerné les caractéristiques dans son ouvrage utopiste, intitulé Java or How to Manage a Colony (Hurst Blackett, 1861). Ce quasi-manuel définit la colonie tel un genre nouveau de souveraineté destinée à organiser la vie d’une collectivité exclusivement autour d’intérêts qui ont trait à une communauté de dominants vivant à l’extérieur du territoire concerné : l’exploitation des ressources et la subordination des acteurs à cette perspective de mainmise (esclavagisme, chasse intensive) et d’extraction (agriculture, mines et autres richesses naturelles).
Ce n’est pas l’île que Léopold II fantasmait que lui ont finalement consentie ses pairs européens, au demeurant le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, mais une contrée africaine de la taille d’un continent, le Congo, que l’explorateur Stanley conquit à coup de traités factices.
Du fiasco à la réussite
À la Conférence de Berlin de 1885, lors de laquelle les puissances coloniales européennes se sont partagé l’Afrique en lui imposant arbitrairement ses frontières, la Belgique fait figure de pays médiocre capable de gérer sa souveraineté commerciale strictement à la manière d’un huissier du droit des affaires, de façon à y garantir des opérations dites à l’époque de « libre-échange ». Léopold II passe alors pour le titulaire d’une souveraineté détenue d’abord à titre privé, appelé à assurer dans ce vaste territoire du Congo l’administration requise permettant aux conglomérats, sociétés à charte et autres start-up de l’époque de prospérer ou d’acquérir, dans une extrême violence envers les populations indigènes et par l’asservissement des colons européens, un capital primitif apte à propulser la course au profit.
L’histoire nous apprend que ce fut un fiasco, Léopold gérant goulûment à son avantage ce gigantesque patrimoine et le conduisant à la faillite. Le Royaume de Belgique dut alors le récupérer à son compte en 1908.
Le Canada, fondé lui aussi dans cet esprit comme toute entité coloniale britannique, fut, pour sa part, conduit avec succès. C’est-à-dire qu’au prix d’ethnocides réalisés à l’encontre des Premières Nations sans trop de protestations internationales, il put développer — nonobstant quelques décennies d’une gestion ouvertement corrompue au départ — cet espace de libre-échange permettant à des banquiers et à des industriels anglais, écossais, puis irlandais, états-uniens et français, de s’y servir allègrement. Ses institutions publiques cherchaient […] à écarter les colonisés et à subordonner les colons de façon à rendre possible la réalisation de projets d’exploitation et d’exportation de biens par des organisations privées. Le Dominion du Canada […] se limitait à gérer des institutions judiciaires et un ensemble de codes voués à justifier le projet colonial, à garantir les investissements ainsi qu’à assurer le cadre rendant possible la circulation des biens et marchandises de la colonie vers les marchés extérieurs.
L’emprise britannique
Telle était la visée de l’Empire colonial britannique, mercantile pour l’essentiel. Et dès lors qu’une entité coloniale prétendait à la gestion de sa propre destinée (en devenant un self-government) sur la base de ce projet libre-échangiste, comme l’ont fait les colonies pénitentiaires que constituaient l’Australie et le Canada à cette période, Londres ne résistait pas tellement à cette transformation. Mieux : on l’entérinait par une loi. […]
Du point de vue de la traite de la fourrure ou des industries céréalière puis minière, le développement du Canada a été le fait d’une vaste entreprise oligarchique. Sur fond de politiques d’apartheid avant la lettre, les sociétés à charte se voyaient donner un blanc-seing par Londres pour piller les ressources du territoire sans égard pour ceux et celles qui l’habitaient ; les actionnaires de grandes sociétés ferroviaires se partageaient les fauteuils ministériels à Ottawa tout en s’attribuant des concessions et les banquiers rédigeaient eux-mêmes les lois régissant leur secteur d’activité. […]
Cela n'est pas moins vrai lorsque le projet colonial est implanté avec succès.
Extraits de l'article d' Alain Deneault, directeur de programme au Collège international de philosophie de Paris:
Comprendre le Canada suppose qu’on en aborde la réalité du point de vue de sa genèse coloniale. Sans quoi, toute lecture rétrospective risque de subordonner la conscience qu’on s’en fait au mythe trudeauiste de l’hospitalité libérale ou au récit pearsonien du chantre pacificateur de la planète. […] Combien ont fait l’impasse sur les intérêts qui ont présidé à la fondation de ce comptoir commercial qu’a été et que reste fondamentalement le Canada, et sur la nature criminelle de son évolution !
« Un Congo de Léopold II réussi». Ainsi peut-on en peu de mots résumer le Canada dans sa mouture de 1867. L’expression rend compte de l’esprit du temps de sa fondation, de l’idéologie qui préside à sa création ainsi que du projet fondamentalement impérialiste et commercial qu’il réalise.
Pourquoi Léopold II ? Parce que le vulgaire potentat belge souhaitait lui aussi une colonie à cette époque et qu’il constitue en quelque sorte l’idéal type du projet colonial européen du XIXe siècle d’inspiration britannique. Son maître à penser en la matière, le juriste James William Bayley Money, en a cerné les caractéristiques dans son ouvrage utopiste, intitulé Java or How to Manage a Colony (Hurst Blackett, 1861). Ce quasi-manuel définit la colonie tel un genre nouveau de souveraineté destinée à organiser la vie d’une collectivité exclusivement autour d’intérêts qui ont trait à une communauté de dominants vivant à l’extérieur du territoire concerné : l’exploitation des ressources et la subordination des acteurs à cette perspective de mainmise (esclavagisme, chasse intensive) et d’extraction (agriculture, mines et autres richesses naturelles).
Ce n’est pas l’île que Léopold II fantasmait que lui ont finalement consentie ses pairs européens, au demeurant le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, mais une contrée africaine de la taille d’un continent, le Congo, que l’explorateur Stanley conquit à coup de traités factices.
Du fiasco à la réussite
À la Conférence de Berlin de 1885, lors de laquelle les puissances coloniales européennes se sont partagé l’Afrique en lui imposant arbitrairement ses frontières, la Belgique fait figure de pays médiocre capable de gérer sa souveraineté commerciale strictement à la manière d’un huissier du droit des affaires, de façon à y garantir des opérations dites à l’époque de « libre-échange ». Léopold II passe alors pour le titulaire d’une souveraineté détenue d’abord à titre privé, appelé à assurer dans ce vaste territoire du Congo l’administration requise permettant aux conglomérats, sociétés à charte et autres start-up de l’époque de prospérer ou d’acquérir, dans une extrême violence envers les populations indigènes et par l’asservissement des colons européens, un capital primitif apte à propulser la course au profit.
L’histoire nous apprend que ce fut un fiasco, Léopold gérant goulûment à son avantage ce gigantesque patrimoine et le conduisant à la faillite. Le Royaume de Belgique dut alors le récupérer à son compte en 1908.
Le Canada, fondé lui aussi dans cet esprit comme toute entité coloniale britannique, fut, pour sa part, conduit avec succès. C’est-à-dire qu’au prix d’ethnocides réalisés à l’encontre des Premières Nations sans trop de protestations internationales, il put développer — nonobstant quelques décennies d’une gestion ouvertement corrompue au départ — cet espace de libre-échange permettant à des banquiers et à des industriels anglais, écossais, puis irlandais, états-uniens et français, de s’y servir allègrement. Ses institutions publiques cherchaient […] à écarter les colonisés et à subordonner les colons de façon à rendre possible la réalisation de projets d’exploitation et d’exportation de biens par des organisations privées. Le Dominion du Canada […] se limitait à gérer des institutions judiciaires et un ensemble de codes voués à justifier le projet colonial, à garantir les investissements ainsi qu’à assurer le cadre rendant possible la circulation des biens et marchandises de la colonie vers les marchés extérieurs.
L’emprise britannique
Telle était la visée de l’Empire colonial britannique, mercantile pour l’essentiel. Et dès lors qu’une entité coloniale prétendait à la gestion de sa propre destinée (en devenant un self-government) sur la base de ce projet libre-échangiste, comme l’ont fait les colonies pénitentiaires que constituaient l’Australie et le Canada à cette période, Londres ne résistait pas tellement à cette transformation. Mieux : on l’entérinait par une loi. […]
Du point de vue de la traite de la fourrure ou des industries céréalière puis minière, le développement du Canada a été le fait d’une vaste entreprise oligarchique. Sur fond de politiques d’apartheid avant la lettre, les sociétés à charte se voyaient donner un blanc-seing par Londres pour piller les ressources du territoire sans égard pour ceux et celles qui l’habitaient ; les actionnaires de grandes sociétés ferroviaires se partageaient les fauteuils ministériels à Ottawa tout en s’attribuant des concessions et les banquiers rédigeaient eux-mêmes les lois régissant leur secteur d’activité. […]