Comme je l'écrivais à l'époque de son instauration, j'ai tout de suite viscéralement détesté le cours d'ECR. Je n'avais pas d'objection majeure au volet "éthique", mais celui sur la religion m'a immédiatement révolté.
Exposer des enfants à des dogmes religieux sans jamais prendre position? Encourager le "respect" aveugle plutôt que la pensée critique? Éviter de répondre aux questions des enfants qui veulent légitimement savoir si telle ou telle affirmation dogmatique est fondée ou si elle est contredite par des données scientifiques? Placer le respect de croyances ancestrales au-dessus de réalités démontrées scientifiquement? Laisser planer le doute quant à la possibilité d'existence de miracles, de magie ou de phénomènes paranormaux au sein même d'une institution scolaire qui a le devoir de se dédier à la propagation des connaissances et du savoir? Accorder aux différents récits de création divine la même respectabilité que la loi de l'évolution?
Tout simplement impensable.
Dès que je suis sorti de la formation dans laquelle on nous a initialement présenté ce cours, il y a maintenant 8 ans, j'ai su que je ne l'enseignerais jamais tel quel. Ce qu'on me demandait de faire allait non seulement à l'encontre de certaines de mes convictions les plus profondes et de mes principes les plus fondamentaux, pire: cela était l'antithèse parfaite de la conception même que j'ai de mon travail. Je suis là pour combattre l'ignorance et la superstition, pas pour la propager.
Il me restait à déterminer une façon de rectifier ce cours sans le dénaturer complètement. J'y ai bien réfléchi.
Vous me forcez à parler de religions? Très bien. Vous m'ordonnez de ne pas prendre ouvertement position contre les dogmes de ces dernières? D'accord. Vous voulez que les enfants soient exposés au fait religieux dans toute sa belle et grande diversité? OK. Alors que puis-je faire, à l'intérieur de ces paramètres, pour encourager mes élèves à faire preuve de scepticisme et à développer une pensée critique?
Après mûre réflexion, j'ai trouvé. Rejetant tout cahier d'exercice et tout matériel suggéré par le ministère, j'ai construit de toutes pièces un cours sur les religions. J'y ai investi des heures et des heures de lectures et de recherches. Je suis devenu un spécialiste du sikhisme, du shintoïsme et du bouddhisme. J'ai déniché un paquet de documents audiovisuels pour l'agrémenter. En apparence, il a l'air d'un cours d'ECR comme les autres. Mais fondamentalement, il ne l'est pas.
Mon cours d'ECR se déroule à peu près toujours sur ce modèle: 1- Je présente une religion en parlant de divers aspects de celle-ci (fondation, situation géographique, croyances fondamentales, rites, figures d'autorité, etc.); 2- Les élèves prennent des notes; 3- J'utilise des éléments audiovisuels (musiques traditionnelles, documentaires, images, etc.) pour rendre l'expérience plus intéressante; 4- Discussions ouvertes, débats et questions. Je joue souvent à l'avocat du diable pendant ces dernières afin d'amener les jeunes à raffiner leur réflexion. Et si une affirmation religieuse n'a aucune base scientifique, je le dis.
L'une des premières choses que j'ai décidé de faire, c'est d'inclure des religions anciennes. J'ouvre donc mon cours avec l'animisme, essentiellement la plus vieille forme de religion connue. J'explique aux élèves qu'à une certaine époque, nos ancêtres préhistoriques ont probablement tous pratiqué une forme d'animisme. L'objectif ici est de faire réaliser à l'élève, sans jamais le dire de manière explicite, que la religion tire essentiellement ses origines d'une ignorance et d'un incompréhension du monde. Je leur explique, par exemple, que les animistes croient que les gens qui tombent malade sont envahis par un mauvais esprit. L'un des moyens qui est employé pour le chasser du corps du malade est de réciter des chants cérémonieux, de réaliser des danses ritualisées et de faire beaucoup de bruit à l'aide de divers objets. La réaction des élèves est évidente: ils disent que ce n'est pas comme ça qu'on guérit les maladies. Je souris et je demeure superficiellement neutre, mais les élèves n'ont pas besoin de moi pour réaliser qu'il s'agit d'une croyance primitive qui ignore tout de la médecine et de la science moderne.
Dès lors, le ton est donné. Les enfants perçoivent immédiatement que les religions affirment parfois des choses fausses. Pour continuer à enfoncer le clou, dans les mois suivants, je leur parle de plusieurs autres religions mortes, c'est-à-dire qui ne comptent plus aucun croyant. Ainsi, il est plus facile pour eux de développer librement leur propre scepticisme et leur pensée critique dans un contexte où ils n'ont pas à craindre d'offusquer qui que ce soit puisque plus personne n'y croit. En leur parlant de religions mortes, je fais également en sorte de leur faire comprendre, sans jamais le dire explicitement, qu'une religion peut effectivement mourir lorsque les gens cessent d'y croire, qu'elles ne sont donc ni éternelles et ni infaillibles. Il est tout à fait possible de s'en débarrasser.
On parle donc des religions de l'Égypte ancienne, de la Grèce antique et des Vikings. En plus d'être intéressants, ces cours poursuivent tous plusieurs objectifs. Avec l'animisme, j'ai abordé le concept de l'âme et en parlant de l'Égypte, j'aborde la question de l'obsession avec la mort et les promesses d'autres mondes dans l'au-delà. On parle d'Anubis et de sa pesée du coeur, de la croyance en l'immortalité et de l'objectif de la momification. Les élèves en viennent à se questionner sur la crédibilité de leurs propres croyances dans ce domaine. Après tout, si les anciens Égyptiens ont pu croire à des mythes aussi rocambolesques, font-ils la même chose eux aussi? Bel exercice d'introspection. En parlant des pyramides, des temples et des monuments égyptiens, j'aborde aussi la question de l'utilisation de l'architecture pour impressionner les croyants.
Avec les Grecs, je les amène à se questionner sur l'existence même de ces soi-disant divinités à qui nous devons respect et soumission et qui interviendraient dans le quotidien des gens pour les récompenser ou les punir. Je leur parle également de l'idée selon laquelle les phénomènes naturels, comme les éclairs, les tempêtes ou les épidémies, seraient causés par les caprices des dieux. Encore une fois, l'objectif est de les amener à réfléchir sur cette question et à leur faire comprendre par eux-mêmes qu'il n'en est rien. Les phénomènes naturels s'expliquent de manière scientifique sans que le moindre élément surnaturel ou magique ne soit nécessaire. Après tout, le bulletin de météo ne fait jamais mention de Zeus... j'espère également leur faire réaliser que si les anciens utilisaient la religion pour expliquer des phénomènes qu'ils ne comprenaient pas et que cela s'est avéré être faux, alors nous faisons aujourd'hui la même chose avec des explications qui seront éventuellement démontrées comme étant fausses elles aussi.
Avec les Vikings, j'aborde la question du rôle de la violence qui accompagne souvent la croyance aveugle en une religion. Pour atteindre le Valhalla, il faut mourir au combat. Cette idée de récompenser la violence avec un passeport pour le paradis et de célébrer la souffrance ne manque pas de choquer les élèves. Évidemment, vous devinerez que mon objectif ici, c'est de leur faire comprendre que ce concept est délirant, conclusion qui est beaucoup plus facile à atteindre lorsqu'on parle d'une religion morte. Je veux également leur faire réaliser que le comportement des croyants est très clairement influencé par les dogmes religieux et que ceux-ci n'amènent pas toujours les gens à être de meilleures personnes.
Après les Vikings, on entre dans les religions vivantes, c'est-à-dire celles qui comptent encore des croyants de nos jours. À ce moment-là, grâce aux cours précédents, la plupart des élèves ont habituellement compris deux choses:
1- Ce n'est pas parce qu'un concept porte l'étiquette "religieux" qu'il est automatiquement protégé de toute critique. 2- Certaines des affirmations religieuses peuvent être démontrées comme fausses ou néfastes.
Je ne parle pas uniquement des défauts et des contradictions au sein des religions, je mentionne même explicitement certains aspects positifs ou pacifistes de ces idéologies. Je ne soulève pas moi-même des critiques face aux dogmes, mais je réagis positivement lorsque des élèves se questionnent ou remettent en question la validité de certaines croyances. Je ne manque pas de féliciter et d'encourager les élèves qui font preuve de scepticisme et de sens critique ou qui mettent de l'avant de bons arguments pour expliquer pourquoi ils considèrent certaines croyances fausses ou problématiques. Je n'accepte pas des commentaires vides du genre: "C'est con." Je demande que l'élève affine sa critique et qu'il utilise des arguments pour appuyer ses prises de positions. Surtout, je renforce régulièrement ce concept fondamental: on peut critiquer, démanteler et ridiculiser des idées. Pas des gens, des idées! Je martèle que les gens qui croient à ces choses ne sont pas nécessairement idiots et que les élèves eux-mêmes, s'ils avaient été endoctrinés depuis la naissance, croiraient exactement la même chose avec la même passion.
Mes cours suivants sont donc consacrés, dans un ordre généralement chronologique, à l'hindouisme (belle conversation à propos de la réincarnation), au bouddhisme, au jaïnisme, au sikhisme (conversation intéressante à propos des accommodements raisonnables pour le kirpan), et au judaïsme.
Je fais alors un exercice sur les dix commandements qui est de l'or en barre. Après leur avoir expliqué que, selon les croyants, ces commandements seraient des ordres adressés à l'humanité par Dieu lui-même, je demande aux élèves de les examiner et de les classer dans trois catégories: 1- À conserver tel quel; 2- À conserver avec modifications; 3- À rejeter complètement. Les conversation qui sont engendrées par cet exercice sont merveilleux.
À travers leurs débats, les élèves se rendent peu à peu compte que ces commandements sont presque tous à tout le moins imparfaits, ce qui est incompatible avec l'idée d'une origine divine. Je leur demande ensuite de créer une meilleure liste de dix commandements, afin de leur faire réaliser que la moralité n'émane pas de la religion, mais bien de l'être humain lui-même. Le résultat est une liste de commandements infiniment plus sage et plus pertinente que l'originale. Les jeunes s'en rendent bien compte.
J'arrive ensuite au christianisme qui ne reçoit absolument aucun traitement de faveur de ma part. Je le présente sur un pied d'égalité avec toutes les autres religions. Et c'est là que tout ce qui a précédé ce cours fatidique devient si important. Certains élèves ont beaucoup plus de difficulté à être critiques face à leur propre religion, ce qui est une belle opportunité pour moi de souligner le fait que, vue de l'extérieur, une religion est toujours beaucoup plus facile à voir objectivement que lorsqu'on est à l'intérieur. Certains élèves réalisent que les dogmes de leur religion sont aussi insensés que ceux des autres, mais affirment qu'ils souhaitent y croire quand même. S'ensuit une belle conversation à propos de la liberté de conscience et le droit inaliénable pour chaque être humain de penser et de croire ce qu'il ou elle veut... et de l'importance capitale de ne jamais imposer ses croyances religieuses aux autres.
J'aborde ensuite l'Islam. Il s'agissait d'un cours très chargé et intense lorsque j'enseignais à Montréal et que j'avais des élèves musulmans, mais maintenant que je suis "en campagne", c'est très différent. Le défi avec des petits musulmans était le même que celui avec des élèves chrétiens mais en plus intense encore. Au sein de l'Islam, le fait de questionner la religion est encore plus mal perçu que dans le christianisme moderne. Et le fait que ce questionnement soit amené et encouragé par un non-musulman était parfois très mal perçu par certains élèves. Il me fallait donc faire preuve d'énormément de tact et de patience, martelant des concepts tels que la liberté de conscience, la liberté d'expression et l'importance de l'intégrité intellectuelle. Avec un succès parfois mitigé.
Maintenant, dans un milieu où les musulmans sont absents, le défi est plutôt de tempérer certains commentaires d'enfants qui ont parfois une vision caricaturale de l'Islam. Je leur explique la différence entre un Arabe et un musulman. Je leur explique que le terrorisme islamiste existe vraiment, qu'il s'inspire réellement de la religion et qu'il représente un réel problème, mais que la très vaste majorité des musulmans ne sont pas des terroristes. Je leur explique que les musulmans ne sont pas un bloc monolithique, mais bien une collection d'individus aux croyances et aux valeurs aussi diversifiées que n'importe quel autre groupe. Nous débattons du voile et de la burqa, ce qui est toujours extrêmement intéressant. Dans ce cours, la notion selon laquelle on peut être critique face à certaines idées sans détester les gens qui y croient prend tout son sens. Les gens méritent notre respect, pas les idées.
Le volet suivant du cours est consacré aux nouvelles religions, c'est à dire des religions qui ont vu le jour récemment. L'idée derrière cet exercice est de montrer aux jeunes comment une religion naît, comment elle commence et comment elle se répand. J'aborde avec eux le mormonisme, le culte du cargo, le vaudou et la scientologie. J'ai pensé parler des raëliens, mais j'hésite toujours à donner de la notoriété à ces timbrés. J'aime beaucoup ce volet parce que les élèves sont exposés à des religions récentes dont les origines sont bien connues et qui sont dépouillées de l'aura de mystère qui entoure les religions très anciennes. Il est donc beaucoup plus facile pour eux de percevoir qu'il s'agit de supercheries et de se demander si les autres religions n'ont pas connu des débuts semblables.
Et finalement, à la toute fin de l'année scolaire, je me paye la traite.
Le pénultième cours est dédié au pastafarisme qui est l'incarnation du scepticisme et de la dérision de la religion. On s'amuse comme des fous avec celle-là. Pourquoi en parler en classe? Pour répondre à cette question, je cite Pierre Desproges: "S'il est vrai que l'humour est la politesse du désespoir, s'il est vrai que le rire, sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s'il est vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors oui, on peut rire de tout, et l'on doit rire de tout : de la guerre, de la misère et de la mort."
Mon dernier cours n'est pas consacré à une religion, mais bien à l'absence de religion: l'athéisme. J'aborde également l'agnosticisme. C'est le cours où je me place le plus à l'avant-plan et où je joue un rôle beaucoup plus actif. Pour la première fois, je parle à la première personne et je réponds parfois moi-même aux questions des élèves, mais j'encourage le même sens critique. J'explique qu'il est prétentieux de prétendre tout savoir, mais que l'on peut raisonnablement rejeter certaines superstitions. Je parle de la possibilité de s'émerveiller du monde qui nous entoure sans avoir recours à des éléments surnaturels. Avec certains groupes, il m'arrive d'avoir des conversations vraiment intéressantes et assez poussées. Peut-on vraiment affirmer avec une totale certitude qu'aucun être suprême n'existe? L'athéisme est-il une foi aveugle comme les autres? Croire à une religion rend-il plus heureux? La croyance à l'au-delà peut-elle atténuer la peur de la mort? Et si c'état le cas, faudrait-il privilégier le mensonge qui fait du bien ou la réalité qui fait peur?
Ainsi se termine mon cours. Le gouvernement est satisfait parce que j'ai parlé des religions. Moi, je suis satisfait parce que j'ai inculqué une belle dose de scepticisme et de pensée critique à mes élèves. J'ai fait passer l'intégrité intellectuelle et l'humanisme au-dessus du respect bête et infondé de n'importe quelle proposition sous prétexte qu'elle porte l'étiquette religieux. Mes élèves en ressortent, je l'espère, grandis. Ils comprennent que les gens méritent le respect, pas les idées. Et avec un peu de chance, j'ai semé dans leur esprit l'amour du débat ouvert, de l'analyse logique, de l'intégrité intellectuelle et du scepticisme face aux affirmations qui ont la prétention d'être d'origine divine.
Amis et amies enseignant(e)s, je vous encourage fortement à faire de même.
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Exposer des enfants à des dogmes religieux sans jamais prendre position? Encourager le "respect" aveugle plutôt que la pensée critique? Éviter de répondre aux questions des enfants qui veulent légitimement savoir si telle ou telle affirmation dogmatique est fondée ou si elle est contredite par des données scientifiques? Placer le respect de croyances ancestrales au-dessus de réalités démontrées scientifiquement? Laisser planer le doute quant à la possibilité d'existence de miracles, de magie ou de phénomènes paranormaux au sein même d'une institution scolaire qui a le devoir de se dédier à la propagation des connaissances et du savoir? Accorder aux différents récits de création divine la même respectabilité que la loi de l'évolution?
Tout simplement impensable.
Dès que je suis sorti de la formation dans laquelle on nous a initialement présenté ce cours, il y a maintenant 8 ans, j'ai su que je ne l'enseignerais jamais tel quel. Ce qu'on me demandait de faire allait non seulement à l'encontre de certaines de mes convictions les plus profondes et de mes principes les plus fondamentaux, pire: cela était l'antithèse parfaite de la conception même que j'ai de mon travail. Je suis là pour combattre l'ignorance et la superstition, pas pour la propager.
Il me restait à déterminer une façon de rectifier ce cours sans le dénaturer complètement. J'y ai bien réfléchi.
Vous me forcez à parler de religions? Très bien. Vous m'ordonnez de ne pas prendre ouvertement position contre les dogmes de ces dernières? D'accord. Vous voulez que les enfants soient exposés au fait religieux dans toute sa belle et grande diversité? OK. Alors que puis-je faire, à l'intérieur de ces paramètres, pour encourager mes élèves à faire preuve de scepticisme et à développer une pensée critique?
Après mûre réflexion, j'ai trouvé. Rejetant tout cahier d'exercice et tout matériel suggéré par le ministère, j'ai construit de toutes pièces un cours sur les religions. J'y ai investi des heures et des heures de lectures et de recherches. Je suis devenu un spécialiste du sikhisme, du shintoïsme et du bouddhisme. J'ai déniché un paquet de documents audiovisuels pour l'agrémenter. En apparence, il a l'air d'un cours d'ECR comme les autres. Mais fondamentalement, il ne l'est pas.
Mon cours d'ECR se déroule à peu près toujours sur ce modèle: 1- Je présente une religion en parlant de divers aspects de celle-ci (fondation, situation géographique, croyances fondamentales, rites, figures d'autorité, etc.); 2- Les élèves prennent des notes; 3- J'utilise des éléments audiovisuels (musiques traditionnelles, documentaires, images, etc.) pour rendre l'expérience plus intéressante; 4- Discussions ouvertes, débats et questions. Je joue souvent à l'avocat du diable pendant ces dernières afin d'amener les jeunes à raffiner leur réflexion. Et si une affirmation religieuse n'a aucune base scientifique, je le dis.
L'une des premières choses que j'ai décidé de faire, c'est d'inclure des religions anciennes. J'ouvre donc mon cours avec l'animisme, essentiellement la plus vieille forme de religion connue. J'explique aux élèves qu'à une certaine époque, nos ancêtres préhistoriques ont probablement tous pratiqué une forme d'animisme. L'objectif ici est de faire réaliser à l'élève, sans jamais le dire de manière explicite, que la religion tire essentiellement ses origines d'une ignorance et d'un incompréhension du monde. Je leur explique, par exemple, que les animistes croient que les gens qui tombent malade sont envahis par un mauvais esprit. L'un des moyens qui est employé pour le chasser du corps du malade est de réciter des chants cérémonieux, de réaliser des danses ritualisées et de faire beaucoup de bruit à l'aide de divers objets. La réaction des élèves est évidente: ils disent que ce n'est pas comme ça qu'on guérit les maladies. Je souris et je demeure superficiellement neutre, mais les élèves n'ont pas besoin de moi pour réaliser qu'il s'agit d'une croyance primitive qui ignore tout de la médecine et de la science moderne.
Dès lors, le ton est donné. Les enfants perçoivent immédiatement que les religions affirment parfois des choses fausses. Pour continuer à enfoncer le clou, dans les mois suivants, je leur parle de plusieurs autres religions mortes, c'est-à-dire qui ne comptent plus aucun croyant. Ainsi, il est plus facile pour eux de développer librement leur propre scepticisme et leur pensée critique dans un contexte où ils n'ont pas à craindre d'offusquer qui que ce soit puisque plus personne n'y croit. En leur parlant de religions mortes, je fais également en sorte de leur faire comprendre, sans jamais le dire explicitement, qu'une religion peut effectivement mourir lorsque les gens cessent d'y croire, qu'elles ne sont donc ni éternelles et ni infaillibles. Il est tout à fait possible de s'en débarrasser.
On parle donc des religions de l'Égypte ancienne, de la Grèce antique et des Vikings. En plus d'être intéressants, ces cours poursuivent tous plusieurs objectifs. Avec l'animisme, j'ai abordé le concept de l'âme et en parlant de l'Égypte, j'aborde la question de l'obsession avec la mort et les promesses d'autres mondes dans l'au-delà. On parle d'Anubis et de sa pesée du coeur, de la croyance en l'immortalité et de l'objectif de la momification. Les élèves en viennent à se questionner sur la crédibilité de leurs propres croyances dans ce domaine. Après tout, si les anciens Égyptiens ont pu croire à des mythes aussi rocambolesques, font-ils la même chose eux aussi? Bel exercice d'introspection. En parlant des pyramides, des temples et des monuments égyptiens, j'aborde aussi la question de l'utilisation de l'architecture pour impressionner les croyants.
Avec les Grecs, je les amène à se questionner sur l'existence même de ces soi-disant divinités à qui nous devons respect et soumission et qui interviendraient dans le quotidien des gens pour les récompenser ou les punir. Je leur parle également de l'idée selon laquelle les phénomènes naturels, comme les éclairs, les tempêtes ou les épidémies, seraient causés par les caprices des dieux. Encore une fois, l'objectif est de les amener à réfléchir sur cette question et à leur faire comprendre par eux-mêmes qu'il n'en est rien. Les phénomènes naturels s'expliquent de manière scientifique sans que le moindre élément surnaturel ou magique ne soit nécessaire. Après tout, le bulletin de météo ne fait jamais mention de Zeus... j'espère également leur faire réaliser que si les anciens utilisaient la religion pour expliquer des phénomènes qu'ils ne comprenaient pas et que cela s'est avéré être faux, alors nous faisons aujourd'hui la même chose avec des explications qui seront éventuellement démontrées comme étant fausses elles aussi.
Avec les Vikings, j'aborde la question du rôle de la violence qui accompagne souvent la croyance aveugle en une religion. Pour atteindre le Valhalla, il faut mourir au combat. Cette idée de récompenser la violence avec un passeport pour le paradis et de célébrer la souffrance ne manque pas de choquer les élèves. Évidemment, vous devinerez que mon objectif ici, c'est de leur faire comprendre que ce concept est délirant, conclusion qui est beaucoup plus facile à atteindre lorsqu'on parle d'une religion morte. Je veux également leur faire réaliser que le comportement des croyants est très clairement influencé par les dogmes religieux et que ceux-ci n'amènent pas toujours les gens à être de meilleures personnes.
Après les Vikings, on entre dans les religions vivantes, c'est-à-dire celles qui comptent encore des croyants de nos jours. À ce moment-là, grâce aux cours précédents, la plupart des élèves ont habituellement compris deux choses:
1- Ce n'est pas parce qu'un concept porte l'étiquette "religieux" qu'il est automatiquement protégé de toute critique. 2- Certaines des affirmations religieuses peuvent être démontrées comme fausses ou néfastes.
Je ne parle pas uniquement des défauts et des contradictions au sein des religions, je mentionne même explicitement certains aspects positifs ou pacifistes de ces idéologies. Je ne soulève pas moi-même des critiques face aux dogmes, mais je réagis positivement lorsque des élèves se questionnent ou remettent en question la validité de certaines croyances. Je ne manque pas de féliciter et d'encourager les élèves qui font preuve de scepticisme et de sens critique ou qui mettent de l'avant de bons arguments pour expliquer pourquoi ils considèrent certaines croyances fausses ou problématiques. Je n'accepte pas des commentaires vides du genre: "C'est con." Je demande que l'élève affine sa critique et qu'il utilise des arguments pour appuyer ses prises de positions. Surtout, je renforce régulièrement ce concept fondamental: on peut critiquer, démanteler et ridiculiser des idées. Pas des gens, des idées! Je martèle que les gens qui croient à ces choses ne sont pas nécessairement idiots et que les élèves eux-mêmes, s'ils avaient été endoctrinés depuis la naissance, croiraient exactement la même chose avec la même passion.
Mes cours suivants sont donc consacrés, dans un ordre généralement chronologique, à l'hindouisme (belle conversation à propos de la réincarnation), au bouddhisme, au jaïnisme, au sikhisme (conversation intéressante à propos des accommodements raisonnables pour le kirpan), et au judaïsme.
Je fais alors un exercice sur les dix commandements qui est de l'or en barre. Après leur avoir expliqué que, selon les croyants, ces commandements seraient des ordres adressés à l'humanité par Dieu lui-même, je demande aux élèves de les examiner et de les classer dans trois catégories: 1- À conserver tel quel; 2- À conserver avec modifications; 3- À rejeter complètement. Les conversation qui sont engendrées par cet exercice sont merveilleux.
À travers leurs débats, les élèves se rendent peu à peu compte que ces commandements sont presque tous à tout le moins imparfaits, ce qui est incompatible avec l'idée d'une origine divine. Je leur demande ensuite de créer une meilleure liste de dix commandements, afin de leur faire réaliser que la moralité n'émane pas de la religion, mais bien de l'être humain lui-même. Le résultat est une liste de commandements infiniment plus sage et plus pertinente que l'originale. Les jeunes s'en rendent bien compte.
J'arrive ensuite au christianisme qui ne reçoit absolument aucun traitement de faveur de ma part. Je le présente sur un pied d'égalité avec toutes les autres religions. Et c'est là que tout ce qui a précédé ce cours fatidique devient si important. Certains élèves ont beaucoup plus de difficulté à être critiques face à leur propre religion, ce qui est une belle opportunité pour moi de souligner le fait que, vue de l'extérieur, une religion est toujours beaucoup plus facile à voir objectivement que lorsqu'on est à l'intérieur. Certains élèves réalisent que les dogmes de leur religion sont aussi insensés que ceux des autres, mais affirment qu'ils souhaitent y croire quand même. S'ensuit une belle conversation à propos de la liberté de conscience et le droit inaliénable pour chaque être humain de penser et de croire ce qu'il ou elle veut... et de l'importance capitale de ne jamais imposer ses croyances religieuses aux autres.
J'aborde ensuite l'Islam. Il s'agissait d'un cours très chargé et intense lorsque j'enseignais à Montréal et que j'avais des élèves musulmans, mais maintenant que je suis "en campagne", c'est très différent. Le défi avec des petits musulmans était le même que celui avec des élèves chrétiens mais en plus intense encore. Au sein de l'Islam, le fait de questionner la religion est encore plus mal perçu que dans le christianisme moderne. Et le fait que ce questionnement soit amené et encouragé par un non-musulman était parfois très mal perçu par certains élèves. Il me fallait donc faire preuve d'énormément de tact et de patience, martelant des concepts tels que la liberté de conscience, la liberté d'expression et l'importance de l'intégrité intellectuelle. Avec un succès parfois mitigé.
Maintenant, dans un milieu où les musulmans sont absents, le défi est plutôt de tempérer certains commentaires d'enfants qui ont parfois une vision caricaturale de l'Islam. Je leur explique la différence entre un Arabe et un musulman. Je leur explique que le terrorisme islamiste existe vraiment, qu'il s'inspire réellement de la religion et qu'il représente un réel problème, mais que la très vaste majorité des musulmans ne sont pas des terroristes. Je leur explique que les musulmans ne sont pas un bloc monolithique, mais bien une collection d'individus aux croyances et aux valeurs aussi diversifiées que n'importe quel autre groupe. Nous débattons du voile et de la burqa, ce qui est toujours extrêmement intéressant. Dans ce cours, la notion selon laquelle on peut être critique face à certaines idées sans détester les gens qui y croient prend tout son sens. Les gens méritent notre respect, pas les idées.
Le volet suivant du cours est consacré aux nouvelles religions, c'est à dire des religions qui ont vu le jour récemment. L'idée derrière cet exercice est de montrer aux jeunes comment une religion naît, comment elle commence et comment elle se répand. J'aborde avec eux le mormonisme, le culte du cargo, le vaudou et la scientologie. J'ai pensé parler des raëliens, mais j'hésite toujours à donner de la notoriété à ces timbrés. J'aime beaucoup ce volet parce que les élèves sont exposés à des religions récentes dont les origines sont bien connues et qui sont dépouillées de l'aura de mystère qui entoure les religions très anciennes. Il est donc beaucoup plus facile pour eux de percevoir qu'il s'agit de supercheries et de se demander si les autres religions n'ont pas connu des débuts semblables.
Et finalement, à la toute fin de l'année scolaire, je me paye la traite.
Le pénultième cours est dédié au pastafarisme qui est l'incarnation du scepticisme et de la dérision de la religion. On s'amuse comme des fous avec celle-là. Pourquoi en parler en classe? Pour répondre à cette question, je cite Pierre Desproges: "S'il est vrai que l'humour est la politesse du désespoir, s'il est vrai que le rire, sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s'il est vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors oui, on peut rire de tout, et l'on doit rire de tout : de la guerre, de la misère et de la mort."
Mon dernier cours n'est pas consacré à une religion, mais bien à l'absence de religion: l'athéisme. J'aborde également l'agnosticisme. C'est le cours où je me place le plus à l'avant-plan et où je joue un rôle beaucoup plus actif. Pour la première fois, je parle à la première personne et je réponds parfois moi-même aux questions des élèves, mais j'encourage le même sens critique. J'explique qu'il est prétentieux de prétendre tout savoir, mais que l'on peut raisonnablement rejeter certaines superstitions. Je parle de la possibilité de s'émerveiller du monde qui nous entoure sans avoir recours à des éléments surnaturels. Avec certains groupes, il m'arrive d'avoir des conversations vraiment intéressantes et assez poussées. Peut-on vraiment affirmer avec une totale certitude qu'aucun être suprême n'existe? L'athéisme est-il une foi aveugle comme les autres? Croire à une religion rend-il plus heureux? La croyance à l'au-delà peut-elle atténuer la peur de la mort? Et si c'état le cas, faudrait-il privilégier le mensonge qui fait du bien ou la réalité qui fait peur?
Ainsi se termine mon cours. Le gouvernement est satisfait parce que j'ai parlé des religions. Moi, je suis satisfait parce que j'ai inculqué une belle dose de scepticisme et de pensée critique à mes élèves. J'ai fait passer l'intégrité intellectuelle et l'humanisme au-dessus du respect bête et infondé de n'importe quelle proposition sous prétexte qu'elle porte l'étiquette religieux. Mes élèves en ressortent, je l'espère, grandis. Ils comprennent que les gens méritent le respect, pas les idées. Et avec un peu de chance, j'ai semé dans leur esprit l'amour du débat ouvert, de l'analyse logique, de l'intégrité intellectuelle et du scepticisme face aux affirmations qui ont la prétention d'être d'origine divine.
Amis et amies enseignant(e)s, je vous encourage fortement à faire de même.
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