L'Écosse gagnera-t-elle son référendum ou pas? Pour Bock-Côté, le résultat n'est pas ce qui est intéressant. Extraits:
On spécule beaucoup sur le résultat à venir du référendum en Écosse. Les sondages donnent le Non victorieux, et même si on souhaite le contraire, il se pourrait bien qu’ils disent vrai. Même si les événements ne sont jamais donnés à l’avance, même si la politique est le domaine par excellence où surgissent de petits miracles et des belles surprises. La tendance ne joue pas pour le camp du Oui, mais il se pourrait bien, néanmoins, que l’Écosse devienne un pays indépendant. Qui sait ce qui se passera dans les semaines à venir.
Mais l’essentiel est ailleurs, dans la simple tenue de ce référendum. Au cœur d’un grand pays développé, qui ne connait ni la guerre, ni la pauvreté, la question nationale est au cœur de la vie politique. Autrement dit, quoi qu’en pensent ceux qui s’imaginent qu’on ne devient un pays que pour sortir d’une tyrannie coloniale épouvantable, le peuple écossais se demande s’il ne devrait pas se gouverner lui-même, librement, pleinement maître de ses institutions, en recouvrant son indépendance depuis longtemps perdue. Il n’est pas nécessaire de souffrir pour gagner le droit d’être politiquement libre.
Évidemment, la question nationale écossaise se formule en partie en termes économiques, mais il n’y a que les obsédés de l’argument comptable qui ne voient pas ce qui se joue à travers ces chiffres. Derrière l’argument économique se trouve un idéal que les Québécois devraient être les premiers à comprendre: maîtres chez nous. Cela suppose l’existence d’un peuple, d’une histoire, d’une identité. Et une volonté d’agir selon son propre intérêt national, sans interférence étrangère. Et faut-il rappeler que le nationalisme économique est d’abord et avant tout un nationalisme? Ce qui se trouve au cœur de l’argumentaire des nationalistes écossais, c’est le désir de se gouverner soi-même.
Autrement dit, nous sommes loin de cette vision terne de la politique qui voudrait la réduire à la gestion quotidienne de l’existence ordinaire. Les nationalistes écossais disent plutôt: le cadre dans lequel notre nation se trouve est inadapté à nos intérêts les plus fondamentaux. Nous nous développerons mieux, nous gérerons mieux nos intérêts, si nous nous en occupons nous-mêmes. Ils disent aussi : notre identité, au fil de l’histoire, a évolué, mais nous conservons ce sentiment très vif, à partir duquel nous fondons notre programme politique: nous ne sommes pas Anglais. Nous sommes un autre peuple.
Cela nous ramène aux limites de la philosophie libérale, qui peine à poser d’elle-même la question du cadre politique puisqu’elle peine d’abord à reconnaître l’existence des nations, sinon à la manière de résidus qu’il sera possible un jour de liquider. La philosophie libérale idéalise l’individu mais oublie aisément qu’il ne flotte pas dans le ciel des idées pures. Évidemment, bien des penseurs libéraux s’ouvrent à la question nationale, mais alors, ils doivent sortir des limites étroites du libéralisme et ajouter à leur doctrine un trait d’union, qui les pousse à réinscrire l’individu et ses droits dans une perspective plus vaste, indispensable à la compréhension du monde. Le libéralisme n’est intéressant que lorsqu’il avoue ses propres limites.
L’Écosse se pose la question de son indépendance, la Catalogne se la pose aussi. La question des petites nations révèle certaines nuances oubliées de l’ordre politique en Europe occidentale. Les adversaires de ces petites nations ont une réponse rapide: il s’agit de régionalismes ethniques, antimodernes et antidémocratiques. Elles seraient en droit de conserver leurs coutumes, mais pourquoi diable voudraient-elles s’autodéterminer? On comprend le message: il ne s’agit pas de vraies nations, et leur permission d’exister aurait bien des limites. Les Écossais peuvent bien jouer de la cornemuse, mais qu’ils ne s’imaginent pas être une nation à part entière.
On peut voir les choses autrement: qu’on souhaite ou non l’indépendance de ces petites nations, ou qu’on leur souhaite un statut particulier, leurs revendications nationales prouvent que l’existence des peuples vient des profondeurs de l’histoire, et qu’on ne saurait fonder un pays à la manière d’une simple association légale et administrative, sans tenir compte de la part existentielle qui traverse toute citoyenneté. On peut oublier un peuple longtemps, mais s’il conserve au fond de lui la certitude de son existence, il peut renaître et chercher à renouer avec l’existence politique.
La mondialisation, qui prétend pousser à l’unification du monde, ne parviendra jamais à effacer cette réalité humaine fondamentale: l’homme appartient à l’humanité par la médiation d’un groupe humain, d’une culture, d’une histoire, d’une identité. S’il devait les sacrifier, il se perdrait dans une immensité terrifiante, qui entrainerait en plus la liquidation de la diversité humaine. Celui qui prétend aimer le genre humain sans aimer la diversité des cultures nous confesse en fait qu’il n’apprécie l’homme que privé de tout ce qui donne du sens à sa vie, à la première d’un individu sans parents ni descendants, sans mémoire ni cité.
Et dans la mesure où j’appartiens à ce groupe humain particulier, à ce peuple, ne dois-je pas souhaiter qu’il s’autodétermine le plus possible? L’autodétermination des peuples n’est-elle pas consubstantielle à l’idéal démocratique. Pour avoir une emprise sur leur propre vie, les hommes se rassemblent en communautés, et la nation est la forme moderne et démocratisée de cette aspiration au monde commun. Ceux qui s’en prennent à la nation s’en prennent pratiquement aux conditions mêmes de l’expérience démocratique. Car pour qu’un peuple se gouverne lui-même, d’abord doit-on lui reconnaître le droit d’exister.
On comprend une chose: la question nationale n’est pas à la veille de disparaître. Que l’Écosse devienne ou non un pays indépendant dans l’année à venir, le simple fait que la question se pose et mobilise les énergies politiques de cette nation développée, prospère, heureuse et bien installée dans la modernité occidentale et démocratique devrait inquiéter les ennemis déclarés du nationalisme, qui n’y voient qu’un malheur frappant les hommes et qui ne comprennent pas la vertu civilisatrice des frontières. Ils devraient chercher à comprendre pourquoi un peuple se pose une telle question, plutôt que de leur offrir leur souverain mépris.
On spécule beaucoup sur le résultat à venir du référendum en Écosse. Les sondages donnent le Non victorieux, et même si on souhaite le contraire, il se pourrait bien qu’ils disent vrai. Même si les événements ne sont jamais donnés à l’avance, même si la politique est le domaine par excellence où surgissent de petits miracles et des belles surprises. La tendance ne joue pas pour le camp du Oui, mais il se pourrait bien, néanmoins, que l’Écosse devienne un pays indépendant. Qui sait ce qui se passera dans les semaines à venir.
Mais l’essentiel est ailleurs, dans la simple tenue de ce référendum. Au cœur d’un grand pays développé, qui ne connait ni la guerre, ni la pauvreté, la question nationale est au cœur de la vie politique. Autrement dit, quoi qu’en pensent ceux qui s’imaginent qu’on ne devient un pays que pour sortir d’une tyrannie coloniale épouvantable, le peuple écossais se demande s’il ne devrait pas se gouverner lui-même, librement, pleinement maître de ses institutions, en recouvrant son indépendance depuis longtemps perdue. Il n’est pas nécessaire de souffrir pour gagner le droit d’être politiquement libre.
Évidemment, la question nationale écossaise se formule en partie en termes économiques, mais il n’y a que les obsédés de l’argument comptable qui ne voient pas ce qui se joue à travers ces chiffres. Derrière l’argument économique se trouve un idéal que les Québécois devraient être les premiers à comprendre: maîtres chez nous. Cela suppose l’existence d’un peuple, d’une histoire, d’une identité. Et une volonté d’agir selon son propre intérêt national, sans interférence étrangère. Et faut-il rappeler que le nationalisme économique est d’abord et avant tout un nationalisme? Ce qui se trouve au cœur de l’argumentaire des nationalistes écossais, c’est le désir de se gouverner soi-même.
Autrement dit, nous sommes loin de cette vision terne de la politique qui voudrait la réduire à la gestion quotidienne de l’existence ordinaire. Les nationalistes écossais disent plutôt: le cadre dans lequel notre nation se trouve est inadapté à nos intérêts les plus fondamentaux. Nous nous développerons mieux, nous gérerons mieux nos intérêts, si nous nous en occupons nous-mêmes. Ils disent aussi : notre identité, au fil de l’histoire, a évolué, mais nous conservons ce sentiment très vif, à partir duquel nous fondons notre programme politique: nous ne sommes pas Anglais. Nous sommes un autre peuple.
Cela nous ramène aux limites de la philosophie libérale, qui peine à poser d’elle-même la question du cadre politique puisqu’elle peine d’abord à reconnaître l’existence des nations, sinon à la manière de résidus qu’il sera possible un jour de liquider. La philosophie libérale idéalise l’individu mais oublie aisément qu’il ne flotte pas dans le ciel des idées pures. Évidemment, bien des penseurs libéraux s’ouvrent à la question nationale, mais alors, ils doivent sortir des limites étroites du libéralisme et ajouter à leur doctrine un trait d’union, qui les pousse à réinscrire l’individu et ses droits dans une perspective plus vaste, indispensable à la compréhension du monde. Le libéralisme n’est intéressant que lorsqu’il avoue ses propres limites.
L’Écosse se pose la question de son indépendance, la Catalogne se la pose aussi. La question des petites nations révèle certaines nuances oubliées de l’ordre politique en Europe occidentale. Les adversaires de ces petites nations ont une réponse rapide: il s’agit de régionalismes ethniques, antimodernes et antidémocratiques. Elles seraient en droit de conserver leurs coutumes, mais pourquoi diable voudraient-elles s’autodéterminer? On comprend le message: il ne s’agit pas de vraies nations, et leur permission d’exister aurait bien des limites. Les Écossais peuvent bien jouer de la cornemuse, mais qu’ils ne s’imaginent pas être une nation à part entière.
On peut voir les choses autrement: qu’on souhaite ou non l’indépendance de ces petites nations, ou qu’on leur souhaite un statut particulier, leurs revendications nationales prouvent que l’existence des peuples vient des profondeurs de l’histoire, et qu’on ne saurait fonder un pays à la manière d’une simple association légale et administrative, sans tenir compte de la part existentielle qui traverse toute citoyenneté. On peut oublier un peuple longtemps, mais s’il conserve au fond de lui la certitude de son existence, il peut renaître et chercher à renouer avec l’existence politique.
La mondialisation, qui prétend pousser à l’unification du monde, ne parviendra jamais à effacer cette réalité humaine fondamentale: l’homme appartient à l’humanité par la médiation d’un groupe humain, d’une culture, d’une histoire, d’une identité. S’il devait les sacrifier, il se perdrait dans une immensité terrifiante, qui entrainerait en plus la liquidation de la diversité humaine. Celui qui prétend aimer le genre humain sans aimer la diversité des cultures nous confesse en fait qu’il n’apprécie l’homme que privé de tout ce qui donne du sens à sa vie, à la première d’un individu sans parents ni descendants, sans mémoire ni cité.
Et dans la mesure où j’appartiens à ce groupe humain particulier, à ce peuple, ne dois-je pas souhaiter qu’il s’autodétermine le plus possible? L’autodétermination des peuples n’est-elle pas consubstantielle à l’idéal démocratique. Pour avoir une emprise sur leur propre vie, les hommes se rassemblent en communautés, et la nation est la forme moderne et démocratisée de cette aspiration au monde commun. Ceux qui s’en prennent à la nation s’en prennent pratiquement aux conditions mêmes de l’expérience démocratique. Car pour qu’un peuple se gouverne lui-même, d’abord doit-on lui reconnaître le droit d’exister.
On comprend une chose: la question nationale n’est pas à la veille de disparaître. Que l’Écosse devienne ou non un pays indépendant dans l’année à venir, le simple fait que la question se pose et mobilise les énergies politiques de cette nation développée, prospère, heureuse et bien installée dans la modernité occidentale et démocratique devrait inquiéter les ennemis déclarés du nationalisme, qui n’y voient qu’un malheur frappant les hommes et qui ne comprennent pas la vertu civilisatrice des frontières. Ils devraient chercher à comprendre pourquoi un peuple se pose une telle question, plutôt que de leur offrir leur souverain mépris.