Vous ne me verrez pas dire ça souvent. Mais cette BD est un chef-d'oeuvre incontournable. Voilà, c'est dit.
J'irai même plus loin. C'est plus qu'une BD, c'est un trésor pour l'héritage de l'humanité. C'est un chapitre occulté de l'histoire qui est demeuré trop longtemps méconnu et mal compris. C'est un précieux leg testamentaire aux générations futures.
Dans cette BD, Tardi met en cases le récit de son propre père, René Tardi, fait prisonnier par les Allemands après la déroute de l'armée française en 1940. Le jeune sergent-chef René Tardi, qui s'était volontairement enrôlé quelques années plus tôt, se retrouve alors envoyé dans un camp de prisonniers où il pourrira pendant des années. La BD couvre donc cette période de la vie de René Tardi allant de l'arrivée d'Hitler au pouvoir jusqu'à l'évacuation du Stalag, en janvier 1945.
La vie au Stalag nous est racontée dans tous ses moindres détails en presque 200 pages. Cette brique est une véritable référence quasiment encyclopédique du quotidien des prisonniers de guerre français.
Tardi se sert des véritables notes laissées par son père afin de donner une voix à ce dernier. Car c'est bien lui, René Tardi, qui raconte son histoire à la première personne. Le bédéiste est là, lui aussi. Il apparaît régulièrement sous la forme d'un jeune garçon qui suit son père, l'écoute, lui pose des questions. Parfois, il exprime le regret de n'avoir jamais eu la chance de lui demander tel ou tel éclaircissement. On comprend alors que cette conversation père-fils n'est pas "en direct". Tardi le bédéiste semble physiquement présent, mais il n'y est pas. Il ne fait que se projeter dans les souvenirs du père. Le père, lui, semble être bien là, demeure toujours le narrateur du récit et il répond même parfois à son fils. Mais comme il est aujourd'hui décédé et qu'il ne peut plus donner de nouvelles informations, il continue parfois son récit sans broncher, sourd aux interrogations récentes du fils. Le résultat de tout ça est tout simplement magique. C'est comme s'il y avait un deuxième, puis un troisième degré à la conversation. Comme si ces deux personnages se parlaient à travers le temps. C'est difficile à expliquer et je ne sais pas si je suis clair, mais le résultat est absolument fabuleux.
Tardi est un extraordinaire bédéiste et son vieux était vraiment un formidable conteur. Il expose dans les plus menus détails et avec une précision extraordinaire son expérience, dans toute sa misère et son horreur. Il nous plonge dans ses souvenirs auxquels les dessins de son fils redonnent littéralement vie.
Cette BD est véritablement une oeuvre remarquable. C'est un récit profondément humain et intime qui offre au lecteur une chance incomparable: celle de reculer dans le temps et de passer quelques heures dans un camp de prisonnier allemand. Si je ne venais pas tout juste de lire cette BD, je n'aurais pas cru qu'une telle chose soit possible avec un tel degré d'intensité. Je suis tout simplement renversé et ravi de ma lecture. Je me la retaperais immédiatement.
La seule BD qui me vient à l'esprit et qui est en quelque sorte comparable à celle-ci, c'est Maus de Spiegelman. Seule cette oeuvre magistrale semble être digne d'une comparaison.