Les enseignants devraient écouter davantage les parents.
Ceci peut sembler être une banale évidence, mais pour la vaste majorité de mes collègues, ça ne l'est pas.
Lorsqu'un parent formule une critique à propos de ce qui se passe à l'école, la plupart des enseignantes de primaire que j'ai connues (j'utilise le féminin parce qu'elles sont très majoritairement - mais pas exclusivement - des femmes) ont ces deux réactions viscérales:
1- Elles se sentent immédiatement attaquées. Comme si le commentaire du parent était une accusation d'incompétence. Elles sont insultées et pestent contre le parent qu'elles décrivent comme une espèce d'agresseur complètement déraisonnable.
2- Elles sont immédiatement sur la défensive. Elles diront habituellement des trucs du genre "Elle ne viendra pas me dire comment faire ma job celle-là" ou "Ce n'est pas parce qu'elle a élevé une paire d'enfant qu'elle connait quoi que ce soit à la pédagogie."
Ce que ces réactions révèlent, au fond, c'est une très profonde insécurité, une absence totale de souplesse et un cruel manque d'imagination.
Et, évidemment, ce qui est tragique, c'est que dans ces réactions exagérément émotives, le contenu du commentaire du parent n'est jamais regardé et évalué posément. C'est très malheureux parce que les parents ont souvent des suggestions qui mériteraient d'être entendues.
Pas toujours, mais souvent.
Les enseignantes reprochent souvent aux parents de ne s'intéresser qu'à leurs enfants à eux et de ne pas prendre en considération l'intérêt des autres enfants du groupe. C'est parfois vrai, mais c'est également parfaitement compréhensible. Le parent n'a pas à se soucier d'enfants qu'il ne connait pas, c'est le rôle du prof, ça. Le parent est d'abord et avant tout présent pour le bien de son propre enfant. C'est son rôle et sa responsabilité. Et c'est justement ce qui fait toute la pertinence de son intervention.
Parce que les enseignants vont souvent pécher à l'autre extrême: ils tendent à demeurer insensibles aux besoins des individus pour voir le groupe comme une entité homogène. Il n'est pas rare d'entendre un prof parler du "groupe" et de lui assigner des qualificatifs comme si tous les membres qui le constituent sont semblables ou pareils.
Le parent vient rectifier cette vision. Le point de vue individualiste du parent est nécessaire pour contrebalancer la vision collectiviste du prof. Le bien-être du groupe et des individus qui le composent se trouve dans une saine négociation entre des considérations individualistes et collectivistes. La voix du parent mérite donc d'être entendue.
Et c'est toujours ce que j'essaie de faire. Et je le dis aux parents lors de la première rencontre de l'année. Je ne suis pas omniscient, je peux me tromper ou ne pas apercevoir tout ce qui se passe. Je dis aux parents que j'ai besoin de leurs commentaires et que je ne prendrai pas leurs critiques comme des attaques personnelles.
Permettez-moi de vous raconter un anecdote qui m'est arrivé pas plus tard que la semaine dernière.
Comme je l'expliquais dans ce billet, j'utilise le système Classcraft en classe. Essentiellement, il transforme le fonctionnement de ma classe en jeu de rôle. Les jeunes ont chacun un avatar, ils sont regroupés en clans et les exercices de français et de maths deviennent des combats contre des monstres. Les élèves adorent ça.
Depuis que j'utilise ce système, j'ai remarqué qu'ils coopèrent davantage et ceci renforce grandement les liens entre eux, ainsi que leurs habiletés sociales. L’isolement de certains élèves est brisé et tout le monde devient un joueur actif et important pour les autres. L’implication et la motivation des élèves sont grandement rehaussées. Les élèves habituellement passifs décuplent leurs efforts afin de ne pas pénaliser leurs coéquipiers.
De mon point de vue collectiviste de prof, tout est absolument génial.
Toutefois, pour certains élèves, ce système peut être une source de frustration. C'était le cas de Fritz, un petit gars dans ma classe qui a eu le malheur de se retrouver en équipe avec Luc. Fritz est toujours à son affaire, il fait minutieusement le travail demandé, tout est impeccable. Luc, lui, est tout le contraire. Il ne s'applique pas, ses devoirs ne sont presque jamais faits, son comportement en classe est très perturbateur et il doit être régulièrement rappelé à l'ordre.
Luc perd donc des points dans le jeu Classcraft. Et lorsque son personnage n'a plus de points et qu'il "tombe au combat", ses coéquipiers en subissent également les conséquences. Ça les fait chier. Et c'est très compréhensible. Luc a eu la possibilité de se reprendre en main, mais il choisit de ne pas le faire et ses coéquipiers sont de plus en plus exaspérés.
La mère de Fritz m'a donc écrit pour critiquer le fonctionnement du jeu et me dire qu'il avait des conséquences négatives sur la motivation de son fils. Elle voulait carrément que les équipes soient abolies afin que son fils ne soit pas pénalisé pour les mauvais comportements des autres.
Au lieu de m'offusquer et de me sentir attaqué, j'ai lu le message de la mère, J'y ai réfléchi. Et j'ai trouvé qu'il y avait du vrai dans ses propos. Je comprends que son fils puisse être démotivé par ce qui se passe. Toutefois, j'ai trouvé qu'elle allait trop loin en demandant l'abolition des équipes. J'y vois plus d'avantages que de désavantages.
J'ai donc réévalué et modifié mon fonctionnement. J'ai discuté du jeu avec les élèves et tous ensemble, nous avons mis en place un protocole de congédiement. Ainsi, lorsqu'un membre du clan fait subir des conséquences négatives à ses coéquipiers trois fois, ces derniers peuvent voter pour décider s'ils lui donnent une autre chance ou s'ils l'expulsent. Dans ce second cas, l'élève se retrouvera donc seul et dépourvu de la protection d'un clan.
J'ai également modifié les conséquences qui surviennent lorsqu'un élève "tombe au combat". J'ai éliminé les conséquences "dans le vrai monde" pour privilégier celles qui sont virtuelles et qui restent à l'intérieur du jeu.
Bref, j'étais sincèrement reconnaissant que cette mère prenne le temps de m'écrire puisque, grâce à elle, j'ai la conviction que mon fonctionnement de classe est amélioré. En bout de ligne, tout le monde est gagnant.
Je lui ai répondu poliment et je l'ai remerciée de son commentaire. Je lui ai expliqué quelles étaient les modifications qui étaient mises en place. Je lui ai expliqué l'effet très positif de l'existence des équipes.
Elle était tout à fait emballée de ma réponse et ravie de voir que j'avais modifié le fonctionnement de la classe à la lumière de ses commentaires.
Tout ça parce que j'ai pris le temps d'écouter une mère à la place de me refermer comme une huître et de jouer à la victime.
Ça vaut la peine, vous ne trouvez pas?
Ceci peut sembler être une banale évidence, mais pour la vaste majorité de mes collègues, ça ne l'est pas.
Lorsqu'un parent formule une critique à propos de ce qui se passe à l'école, la plupart des enseignantes de primaire que j'ai connues (j'utilise le féminin parce qu'elles sont très majoritairement - mais pas exclusivement - des femmes) ont ces deux réactions viscérales:
1- Elles se sentent immédiatement attaquées. Comme si le commentaire du parent était une accusation d'incompétence. Elles sont insultées et pestent contre le parent qu'elles décrivent comme une espèce d'agresseur complètement déraisonnable.
2- Elles sont immédiatement sur la défensive. Elles diront habituellement des trucs du genre "Elle ne viendra pas me dire comment faire ma job celle-là" ou "Ce n'est pas parce qu'elle a élevé une paire d'enfant qu'elle connait quoi que ce soit à la pédagogie."
Ce que ces réactions révèlent, au fond, c'est une très profonde insécurité, une absence totale de souplesse et un cruel manque d'imagination.
Et, évidemment, ce qui est tragique, c'est que dans ces réactions exagérément émotives, le contenu du commentaire du parent n'est jamais regardé et évalué posément. C'est très malheureux parce que les parents ont souvent des suggestions qui mériteraient d'être entendues.
Pas toujours, mais souvent.
Les enseignantes reprochent souvent aux parents de ne s'intéresser qu'à leurs enfants à eux et de ne pas prendre en considération l'intérêt des autres enfants du groupe. C'est parfois vrai, mais c'est également parfaitement compréhensible. Le parent n'a pas à se soucier d'enfants qu'il ne connait pas, c'est le rôle du prof, ça. Le parent est d'abord et avant tout présent pour le bien de son propre enfant. C'est son rôle et sa responsabilité. Et c'est justement ce qui fait toute la pertinence de son intervention.
Parce que les enseignants vont souvent pécher à l'autre extrême: ils tendent à demeurer insensibles aux besoins des individus pour voir le groupe comme une entité homogène. Il n'est pas rare d'entendre un prof parler du "groupe" et de lui assigner des qualificatifs comme si tous les membres qui le constituent sont semblables ou pareils.
Le parent vient rectifier cette vision. Le point de vue individualiste du parent est nécessaire pour contrebalancer la vision collectiviste du prof. Le bien-être du groupe et des individus qui le composent se trouve dans une saine négociation entre des considérations individualistes et collectivistes. La voix du parent mérite donc d'être entendue.
Et c'est toujours ce que j'essaie de faire. Et je le dis aux parents lors de la première rencontre de l'année. Je ne suis pas omniscient, je peux me tromper ou ne pas apercevoir tout ce qui se passe. Je dis aux parents que j'ai besoin de leurs commentaires et que je ne prendrai pas leurs critiques comme des attaques personnelles.
Permettez-moi de vous raconter un anecdote qui m'est arrivé pas plus tard que la semaine dernière.
Comme je l'expliquais dans ce billet, j'utilise le système Classcraft en classe. Essentiellement, il transforme le fonctionnement de ma classe en jeu de rôle. Les jeunes ont chacun un avatar, ils sont regroupés en clans et les exercices de français et de maths deviennent des combats contre des monstres. Les élèves adorent ça.
Depuis que j'utilise ce système, j'ai remarqué qu'ils coopèrent davantage et ceci renforce grandement les liens entre eux, ainsi que leurs habiletés sociales. L’isolement de certains élèves est brisé et tout le monde devient un joueur actif et important pour les autres. L’implication et la motivation des élèves sont grandement rehaussées. Les élèves habituellement passifs décuplent leurs efforts afin de ne pas pénaliser leurs coéquipiers.
De mon point de vue collectiviste de prof, tout est absolument génial.
Toutefois, pour certains élèves, ce système peut être une source de frustration. C'était le cas de Fritz, un petit gars dans ma classe qui a eu le malheur de se retrouver en équipe avec Luc. Fritz est toujours à son affaire, il fait minutieusement le travail demandé, tout est impeccable. Luc, lui, est tout le contraire. Il ne s'applique pas, ses devoirs ne sont presque jamais faits, son comportement en classe est très perturbateur et il doit être régulièrement rappelé à l'ordre.
Luc perd donc des points dans le jeu Classcraft. Et lorsque son personnage n'a plus de points et qu'il "tombe au combat", ses coéquipiers en subissent également les conséquences. Ça les fait chier. Et c'est très compréhensible. Luc a eu la possibilité de se reprendre en main, mais il choisit de ne pas le faire et ses coéquipiers sont de plus en plus exaspérés.
La mère de Fritz m'a donc écrit pour critiquer le fonctionnement du jeu et me dire qu'il avait des conséquences négatives sur la motivation de son fils. Elle voulait carrément que les équipes soient abolies afin que son fils ne soit pas pénalisé pour les mauvais comportements des autres.
Au lieu de m'offusquer et de me sentir attaqué, j'ai lu le message de la mère, J'y ai réfléchi. Et j'ai trouvé qu'il y avait du vrai dans ses propos. Je comprends que son fils puisse être démotivé par ce qui se passe. Toutefois, j'ai trouvé qu'elle allait trop loin en demandant l'abolition des équipes. J'y vois plus d'avantages que de désavantages.
J'ai donc réévalué et modifié mon fonctionnement. J'ai discuté du jeu avec les élèves et tous ensemble, nous avons mis en place un protocole de congédiement. Ainsi, lorsqu'un membre du clan fait subir des conséquences négatives à ses coéquipiers trois fois, ces derniers peuvent voter pour décider s'ils lui donnent une autre chance ou s'ils l'expulsent. Dans ce second cas, l'élève se retrouvera donc seul et dépourvu de la protection d'un clan.
J'ai également modifié les conséquences qui surviennent lorsqu'un élève "tombe au combat". J'ai éliminé les conséquences "dans le vrai monde" pour privilégier celles qui sont virtuelles et qui restent à l'intérieur du jeu.
Bref, j'étais sincèrement reconnaissant que cette mère prenne le temps de m'écrire puisque, grâce à elle, j'ai la conviction que mon fonctionnement de classe est amélioré. En bout de ligne, tout le monde est gagnant.
Je lui ai répondu poliment et je l'ai remerciée de son commentaire. Je lui ai expliqué quelles étaient les modifications qui étaient mises en place. Je lui ai expliqué l'effet très positif de l'existence des équipes.
Elle était tout à fait emballée de ma réponse et ravie de voir que j'avais modifié le fonctionnement de la classe à la lumière de ses commentaires.
Tout ça parce que j'ai pris le temps d'écouter une mère à la place de me refermer comme une huître et de jouer à la victime.
Ça vaut la peine, vous ne trouvez pas?