Il y a de cela une douzaine d'années, j'ai fait l'acquisition de la série « SUPREME POWER » parue dans la collection « Max Comics » de Marvel. Deux raisons à cela :
- cette série a été écrite par J. Michael Straczynski, le brillant auteur/producteur/réalisateur de la série TV « Babylon 5 »
- la série était tout aussi brillamment dessinée par Gary Frank.
Alors quid de « Supreme Power » ?
Pour évoquer cette série, nous devons nous projeter dans le temps jusqu'en 1971, lorsque Roy Thomas et John Buscema créent le « Squadron Supreme » dans « The Avengers » 85 – 86, un groupe de super-héros issus d'une Terre parallèle : « Earth-712 ».
Là où ça se complique, c'est que le « Squadron » est lui-même dérivé d'un autre groupe, de super-villains cette fois, le « Squadron Sinister », apparu deux ans plus tôt sous la plume de Roy Thomas et dessinés par Sal Buscema dans « The Avengers » 69.
Dans ma jeunesse, j'avais eu l'occasion de découvrir le membre le plus éminent de ce groupe : Hyperion, une sorte de Superman en costume rouge et jaune dans divers comics. Ceci avec une certaine confusion du fait qu'il y avait donc le « gentil » Hyperion et le « méchant » Hyperion, ayant tous les deux la même apparence.
Puis vint « The Utopia Project » écrit par Mark Gruenwald, contant comment le « Squadron » décide de se rendre maître des USA en pleine crise afin de pacifier le pays, reconditionner les criminels et ainsi rendre sa grandeur à l'Amérique (comme dirait un autre type au visage orangé) avec un résultat que certains voient comme une utopie et d'autres une dystopie. C'était l'une des premières fois que je me trouvais confronté à un comic-book qui me prenait au sérieux en tant que lecteur.
A sa mort, Gruenwald certifia dans son testament qu'il voulait qu'une partie de ses cendres soient mélangées avec l'encre et le papier d'une sequel de « Squadron Supreme », et comme le dit Straczynski dans son introduction au « reboot » de la série : « No, I'm not making that up.»
Cette nouvelle version fait partie, cette fois, d'un univers appelé « Earth-31916 » et évoque à la fois « Superman » et « Miracleman » de Alan Moore, dans le sens où ce personnage réalise à la fin du premier volume de ses aventures qu'il est le résultat d'une expérience scientifique menée sous le contrôle du gouvernement britannique et que que toute sa vie n'est qu'un gigantesque mensonge.
Dans son introduction à « Supreme Power » Straczynski précise qu'il a pris la décision en écrivant cette histoire de ne pas utiliser de « ballon de pensée ». On ne sait donc jamais ce que ressent vraiment un personnage, ce qui donne à ce comic-book un sentiment d'immersion plus profond. Les personnages s'expriment verbalement et on ne peut que deviner ce qu'ils ressentent intérieurement que par leur expression faciale, ce qui, comme dans la vraie vie, laisse une grande place à l'incertitude. Le personnage qui s'exprime fait-il preuve de sincérité ? Ses paroles n'ont-elles pas un double sens ? Straczynski souligne en particulier un passage de l'épisode 1 « Contact », lorsque Matt Milton, s'adressant à son père putatif, lui dit « And I love you as much you love me.»
Hyperion vit dans un monde où le mensonge règne. Il est constamment manipulé, manufacturé selon des principes qui peuvent apparaître honorables mais qui auront une profonde influence sur sa psyché, et au fur-et-à-mesure qu'il grandit – et ses pouvoirs avec lui – les conséquences de son conditionnement et ses tentatives pour s'en libérer font de lui – potentiellement – la plus grande menace à laquelle l'humanité ait jamais eu à faire face. Ainsi, pour reprendre le parallèle avec « Miracleman », la série s'est achevée sur un chapitre écrit par Neil Gaiman et intitulé « The golden age ». Celui-ci, si l'éditeur Eclipse n'avait pas fait banqueroute, aurait été suivi par « The dark age ».
L'histoire commence alors qu'un vaisseau extraterrestre fait son entrée dans l'atmosphère de la Terre. Au sol, le soleil se couche alors qu'un couple dans la trentaine roule en camion en écoutant la chanson de Nick Lowe : « Cruel to be kind». Le couple demeure silencieux, isolé l'un de l'autre dans leur réserve respective.
Soudain, une étoile filante traverse le ciel et s'écrase dans un champ à quelques mètres d'eux. A l'intérieur de l'épave, vous l'aurez deviné, un bébé. Le couple l'emporte. Ils l'élèveront sous le nom de Clark et, devenu grand, il prendra le nom de Sup... Ben non, parce qu'à peine rendu chez eux, une équipe de style SWAT débarque.
Nous savons que nous sommes aux environs de 1978, car Carter est président des USA et que plus tard il est question de la chute du régime de Pol Pot et de la fuite du Shah d'Iran.
Carter est donc le premier à prendre en main la destinée de celui que le monde connaîtra un jour sous le nom d'Hypérion. L'enfant est un orphelin, c'est donc à l'État de le prendre en charge et d'en faire « un vrai Américain ».
Dans un bureau, un jeune couple est reçu par un officiel. Ils sont destinés à devenir les parents de l'enfant – qui sera dénommé Mark Milton. Ils vivront dans une « bulle » en dehors de toute influence extérieure, constamment sous la surveillance de caméras pour une durée de quinze à vingt ans minimum. Par ailleurs, toute relation intime leur sera interdite pour éviter toute situation de stress pour l'enfant. Le tout dans une atmosphère aussi « Norman Rockwellienne » que possible.
Si, au début, tout se passe bien, un incident va leur faire réaliser la gravité de la situation dans laquelle ils se sont laissé entraîner. Cet enfant n'est pas humain, et l'élever, rester en sa présence 24/24 heures, c'est se placer dans une situation des plus dangereuses. C'est comme vivre dans une cage avec un bébé tigre en priant qu'il ne vous caresse pas de trop près, comme élever une bombe nucléaire dotée d'intelligence. Mais cet enfant est intelligent et il réalise très tôt que quelque chose ne tourne pas rond dans cet univers clos.
Présentement, l'enfant grandit. Des professeurs viennent à la maison lui enseigner les valeurs américaines et son père lui lit des contes de fées qui parlent de vilains chinois qui vont avoir affaire à l'Oncle Sam s'ils ne changent pas de comportement.
Les années passent et les présidents aussi. Nous sommes sous l'ère Bush Ier et les scientifiques qui étudient l'épave du vaisseau font leur rapport au président. Ils ont fait quelques progrès, identifié la source d'énergie du vaisseau et obtenu des images de la destruction du vaisseau porteur lors d'une attaque ennemie. Mais qui étaient ces gens ? Agresseurs ou agressés ? Et existe t-il d'autres survivants de l'attaque ? Par ailleurs, Mark a maintenant treize ans. Ses pouvoirs ne cessent de grandir et rien ne peut le retenir dans la « bulle », rien sinon l'amour de ses parents, une perspective plus qu'effrayante.
Mais il y a plus. Ailleurs, d'autres comme lui commencent à apparaître et personne n'exerce le moindre contrôle sur ceux-ci. Certains sont humains, d'autres non, d'autres sont humains de la plus inhumaine des façons.
Quelques années de plus et le gouvernement commence à utiliser les « compétences » de Mark, sans vraiment jamais comprendre à quoi il a affaire. Après « Desert Storm », Jason Scott, un journaliste commence à poser des questions sur un certain projet « Hypérion ». Ce qu'il va découvrir va changer sa vie et la face du monde à jamais. UN super-héros existe, et il est AMERICAIN. Mais est-il vraiment unique ? Mark Milton est-il aussi seul dans l'univers qu'il le croit ?
Dans son introduction, Straczynski explique : « As the story progresses, you begin to realize that the poor bastard never really had a chance.» et c'est la tragédie que vit ce personnage. On lui ment constamment et il le sait, alors qu'il ne désire que la vérité ; il est utilisé pour camoufler l'utilisation d'autres super-agents et il le sait, alors qu'il ne souhaite qu'aider ceux qui l'entoure sans rien attendre d'eux ; sa vie n'est qu'un vaste mensonge et ENFIN il le sait, alors qu'il n'a jamais voulu être rien d'autre que ce qu'on lui a enseigné à être. Il n'est pas humain, il n'est qu'une arme, mais cette arme a commencé à raisonner de façon indépendante, telle la bombe nucléaire du film « Dark Star » de John Carpenter. Alors, Gepetto commence à voir Pinocchio, non plus comme une poupée innocente mais une CHOSE qui pourrait réduire le monde en cendres à la vitesse de deux cent mille personnes à l'heure. Et c'est là, l'immense cruauté de ces hommes. Quand vient le temps où une arme est prête à tomber dans les mains de l'ennemi, il n'est pas question de lui laisser la moindre chance de se sauver. Mais comment vient-on à bout d'un demi-dieu ?
Il y a encore bien des choses à dire sur cette série : les clins d'œil à :
- Superman (épisode 1 : « Contact »),
- Batman (à travers le personnage de Nighthawk, un noir que le meurtre de ses parents a plongé dans un état de haine revendicatrice à la limite du racisme),
- Wonder Woman (ici, Zarda, alias « Power Princess »; une véritable déesse d'une beauté inhumaine, totalement narcissique et dénuée d'empathie envers l'humanité, Athéna réincarnée – certaines pages de l'épisode 10 « Ladies' night » te plairaient, Prof),
- Miracleman (voir l'épisode 9 « Ten o'clock » qui rappelle la bataille finale dans « A dream of flying » et l'affrontement meurtrier – en fait une véritable boucherie qui fait 40 000 victimes – dans « Olympus » qui est quasi répliqué dans l'épisode 14 « Objects in motion»),
- Watchmen (épisode 16 : « The deconstruction of Mark Milton » où l'on voit le général Alexander démonter une montre).
Cette série est juste tellement excellente à tellement de niveaux que c'est à tomber de sa chaise. Straczynski a construit là une saga où aucun personnage n'est totalement blanc ou totalement noir. Nous sommes en pleine « Twilight zone », un univers crépusculaire fait de manipulations et d'intentions parfois bonnes, parfois mauvaises, mais mêmes les bonnes sont incontestablement faites de celles dont on dit que l'enfer est pavé, et il est ainsi extrêmement ardu de les séparer des mauvaises.
Mark Milton est un homme bon qui souhaite de tout son cœur faire le bien, mais c'est aussi un étranger, un dieu parmi les hommes. Prométhée fut puni par les dieux pour avoir créé les hommes et leur avoir apporté le « feu divin » – métaphore de la connaissance – et pour cela, il fut enchaîné au mont Caucase et condamné à une peine horrible et sans fin. Car les dieux savaient qu'à partir du moment où les hommes SAURAIENT, alors ils deviendraient peu à peu une menace insurmontable pour eux, et finiraient par les mettre à bas.
Et c'est ce que finalement tentent de faire – à leur manière – ceux qui ont fait de lui en grande partie ce qu'il est. Mark Milton – Hyperion – est le résultat de décennies de mensonges et de duperie. Non seulement envers lui mais envers le peuple américain et toute l'humanité. Et c'est par le mensonge et la duperie que ceux qui pensent pouvoir le contrôler tenteront de le le mettre bas.
Selon Nietzsche, Dieu « est incompatible avec la dignité de l’homme, avec l’affirmation de la vie.»
(Source ).
« Lorsque je vins pour la première fois parmi les hommes, je fis la folie du solitaire, la grande folie: je me mis sur la place publique. Et comme je parlais à tous, je ne parlais à personne. Mais le soir des danseurs de corde et des cadavres étaient mes compagnons; et j’étais moi−même presque un cadavre. Mais, avec le nouveau matin, une nouvelle vérité vint vers moi: alors j’appris à dire: “Que m’importe la place publique et la populace, le bruit de la populace et les longues oreilles de la populace!” Hommes supérieurs, apprenez de moi ceci: sur la place publique personne ne croit à l’homme supérieur. Et si vous voulez parler sur la place publique, à votre guise! Mais la populace cligne de l'œil: “Nous sommes tous égaux.” “Hommes supérieurs,—ainsi cligne de l'œil la populace,—il n’y pas d’hommes supérieurs, nous sommes tous égaux, un homme vaut un homme, devant Dieu—nous sommes tous égaux!” Devant Dieu!—Mais maintenant ce Dieu est mort. »
Nietzsche : « Ainsi parla Zarathoustra »
Non pas. Il existe une courte nouvelle comme savait en écrire le talentueux Fredric Brown. Elle date de 1954 et s'intitule « Answer» (La réponse). Dans celle-ci, un savant – Dwar Ev – apporte la touche finale à un projet colossal : la connexion simultanée de « toutes les super-machines de toutes les planètes habitées de l'univers (...) dans un super-circuit qui les transformerait en un gigantesque super-calculateur. »
Dwar Ev a l'honneur de poser la première question à ce super-cerveau : « Existe t-il un Dieu? » et en cet instant fatidique il condamne l'humanité toute entière à l'esclavage sur près de 100 milliards de planètes.
Le troisième et dernier volume de la série signé par Strackzynski est cette fois dessiné par Dan Jurgens, et mis en couleurs par Raul Treuino (Chris Sotomayor dans les deux précédents), et disons que le résultat est nettement en-dessous de la qualité des deux premiers volumes, comme si Marvel s'était désintéressé de la série.
Les autorités ont depuis longtemps découvert que le vaisseau qui avait amené Mark Milton sur Terre avait aussi relâché dans l'atmosphère une sorte de virus qui a affecté un certain nombre de femmes enceintes à travers le monde.
Jusqu'à présent le gouvernement des États-Unis pouvait compter sur l'assistance de Joe Ledger, un sous-officier d'élite spécialisé dans les opérations de type « Black-Ops ». Celui-ci a intégré physiquement le cristal qui propulsait le vaisseau d'Hypérion, mais il ignore que parfois celui-ci prend le contrôle de son corps à son insu. On peut néanmoins le classer dans la catégorie des personnages « positifs » de la série, d'autant qu'il a fait le choix de dissimuler à ses supérieurs l'existence d'une mutante aquatique qu'il a baptisé Kingsley Rice.
Le deuxième individu recruté par les autorités militaires n'est autre que Redstone, un psychopathe que Hypérion, Nighthawk et Stanley Stewart, alias « The Blur » ont réussi à mettre hors d'état de nuire, ignorant que les militaires auraient leurs propres intérêts particuliers à l'utiliser.
Avec la démission d'Hypérion et la neutralisation par chantage de Stewart, l'administration Bush Jr se met en quête d'autres individus affectés par le virus. Ce sont :
- Emil Burbank : l'homme le plus intelligent sur Terre – selon sa propre (modeste) admission -. Ce qu'il néglige de préciser, c'est qu'il est également un tueur en série et une raclure de la pire espèce.
- Raleigh Lund : un simple d'esprit obèse dont le corps semble capable d'absorber n'importe quel choc.
- Arcanna Jones : une spécialiste de la mécanique quantique capable d'altérer la réalité. Son principal et sans doute unique intérêt à servir la mère-patrie est de « comprendre » avant que son pouvoir ne la rende folle, et possiblement la pousse à détruire l'univers. Pour cela, elle doit rencontrer Hypérion.
- Al Gaines, l'homme radioactif. Un véritable Tchernobyl ambulant, affectation éminemment mortelle qui l'a contraint à choisir une vie de totale réclusion. Il est par ailleurs invulnérable, au point de ne pouvoir mettre lui-même fin à ses jours. Son intérêt : la vengeance.
Confrontée avec les siens à Hypérion, Arcanna projette son groupe dans ce qui semble être un univers parallèle, une dystopie cauchemardesque dans laquelle ce qui reste de l'humanité vit sous le joug des dieux, emmenés par Hypérion. « Do unto others. As they have done unto you.»
Hyperion a réalisé son utopie.
Revenus chez eux, le groupe de super-agents fait son rapport. Un seul parmi eux a compris, vraiment compris, d'où ils revenaient. Ce secret, il le gardera pour lui.
« They had no idea what power was. Or what their cruelty and manipulation had created. A mirror image of themselves, with real power... and a grudge.»
Le travail de J. Michael Straczynski s'achève hélas là. Il y a eu quelques numéros spéciaux par la suite écrits par d'autres et que je n'ai pas lus. Dans l'ensemble, il apparaît que Marvel ait quelque peu tué la poule aux œufs d'or.
Dommage.