Le soupçon malsain qui pèse sur les hommes dans le domaine de l'enseignement est constant. Et complètement étouffant. Les lecteurs de mon livre et de ce blogue en ont déjà lu de trop nombreux exemples.
Malheureusement, en voici un de plus. Et encore une fois, votre humble serviteur en est la cible.
Le 25 mars dernier, je reçois un très court message sur Facebook d'une ancienne élève qui est maintenant en secondaire deux. Elle m'écrit que la veille, elle a fait une tentative de suicide et que la police et les ambulanciers sont intervenus.
Vous dire que ce message m'a renversé serait un euphémisme.
Les lecteurs de longue date de ce blogue se souviendront du suicide d'un de mes anciens élèves (ici et ici) et à quel point cela m'avait bouleversé.
Et les lecteurs de mon livre connaissent l'anecdote qui explique que, si j'accepte les demandes d'amitié de mes anciens élèves sur FB, c'est JUSTEMENT pour leur venir en aide au besoin.
Comme je n'ai pas de téléphone cellulaire et que je ne passe pas mon temps devant mon ordi, lorsque j'ai vu son message, il était déjà vieux de quelques heures. Je me suis évidemment empressé de lui répondre et de m'enquérir de son bien-être. Elle a été très avare de commentaires.
Après ça, silence radio.
J'ai donc envoyé un courriel à ma directrice afin de l'informer de la situation et également pour lui demander d'alerter les autorités de l'école secondaire:
Une de nos anciennes élèves, XXXXX, qui est maintenant à XXXXX, vient de m'informer via Facebook qu'elle a fait une tentative de suicide en fin de semaine. Elle ne veut pas me donner de détails, à part le fait que la police et les ambulanciers ont été appelés. J'imagine que des services lui ont été offerts, mais je ne le sais pas avec certitude.
Pourrais-tu confidentiellement en informer les gens de XXXXX afin qu'ils soient au courant et qu'ils puissent lui venir en aide si nécessaire?
Merci beaucoup.
Puis, vers la fin de la semaine dernière, la petite m'a écrit un petit mot. Un truc parfaitement anodin, elle m'a dit qu'elle mangeait de la crème glacée. J'ai pris ça comme un signe qu'elle voulait parler, je lui ai demandé comment elle se sentait. Elle m'a dit qu'elle allait bien. Je lui ai demandé ce qu'elle faisait en fin de semaine. Elle m'a dit qu'elle avait une compétition sportive le samedi et qu'elle passait le dimanche avec des amis. Je lui ai dit que c'était une excellente idée de ne pas s'isoler.
Puis, le dimanche suivant, 2 avril, elle m'envoie un court message:
Après ça, encore une fois, silence radio. Pas de réponse.
J'étais, bien évidemment, très inquiet. J'envoie donc un nouveau courriel à ma directrice ainsi qu'à sa collègue du secondaire et à une travailleuse sociale du CSSS afin de les informer de ce développement. Cela me semblait pertinent puisque je ne savais pas s'ils avaient mis des ressources en place pour l'aider. Je ne savais pas non plus si la petite coopérait ou si elle leur disait que tout est correct, alors il m'a semblé important de les avertir. Voici le contenu du courriel que j'ai écrit:
Depuis que j'ai envoyé le message ci-dessous à XXXXX, je n'ai pas eu de nouvelles de XXXXX. Puis, tout à coup, elle m'a écrit aujourd'hui sur Facebook. Un message très court: "Allô j'me sens pas bin." Je lui ai demandé ce qui n'allait pas, mais elle ne me répond pas. Je tenais à vous en informer. J'ignore si elle collabore avec vous ou si elle prétend que tout va bien, mais si c'est la deuxième hypothèse qui se produit, ne vous fiez pas aux apparences.
J'espère que vous suivez cette choupette de très près parce qu'elle n'a vraiment pas l'air d'aller et je suis très inquiet. Je comprends que tout ceci est confidentiel et je ne m'attends pas à être informé, mais de mon côté, si elle m'écrit à nouveau, je vous tiendrai au courant.
Merci.
Je me rends donc dans son bureau aujourd'hui, pendant mon heure de dîner. Elle commence par me donner des nouvelles de la petite. Elle est bien encadrée, me dit-elle, et les services sociaux sont dans le dossier. Il s'agirait d'un problème familial, mais elle me dit qu'elle n'en sait pas plus. Je lui réponds que je ne m'attends pas à ce qu'on me tienne informé, je sais que tout cela est confidentiel. Je lui dis que mon objectif n'est pas de m'immiscer dans cette affaire, mais de m'assurer que les autorités sont informées et qu'on lui vient en aide.
La directrice me regarde alors fixement et après quelques instants de silence, la conversation suivante s'ensuit:
Dir: Est-ce que tu sais qu'il est contraire à la politique de la commission scolaire que tes élèves soient tes amis Facebook?
Moi: Bien sûr, je n'accepte pas les invitations de mes élèves, seulement de mes anciens. Pourquoi?
Dir: Disons que des gens se sont étonnés que tu sois en contact avec tes anciens élèves. Tu devrais attendre quelques années avant d'accepter leurs invitations.
Moi: Pourquoi?
Dir: Ça t'éviterait de te retrouver dans une situation comme celle-ci.
Moi: Mais pourtant, si je retiens une chose de tout ceci, c'est que c'est une bonne chose que la petite ait pu me contacter. Autrement, l'école n'aurait pas été mise au courant et elle n'aurait peut-être pas reçu d'aide!
Dir: Il y a des gens qui s'étonnent qu'elle se soit adressée à toi. Mais je t'ai défendu en disant que ça faisait deux ans qu'elle n'était plus ton élève.
Moi: Alors, si je comprends bien, on trouve louche que cette jeune fille écrive à un homme sur Internet, c'est ça?
Dir: Non, non, ce n'est pas ce que je veux dire...
Moi: Alors quoi?
Dir: Rien, je veux juste que tu sois prudent.
********
Si vous lisez mon blogue depuis longtemps, je vous entends d'ici soupirer.
Oui, je sais, encore une fois.
Plutôt que de me féliciter d'avoir tiré la sonnette d'alarme, plutôt que d'être admiratif de ma capacité à tisser des liens avec les jeunes qui sont placés dans ma classe, de mon empathie ou de mon dévouement à leur bien-être...
À la place, on trouve ça louche.
Comme à chaque fois, personne ne le dit clairement et on utilise le prétexte de la pudence et de ma protection, mais ce qui se passe dans la tête de ces gens est évident.
Un homme qui correspond avec une petite fille sur Facebook?
C'est pas normal...
Ça doit être un pédophile!
Je suis tellement écoeuré! ÉCOEURÉÉÉÉÉÉÉÉÉ!
Savez-vous ce que c'est de vivre avec ce soupçon à tous les jours de sa vie? Savez-vous à quel point c'est monstrueux de faire peser une telle suspicion sur quelqu'un qui n'a jamais rien fait de mal simplement parce qu'il est un homme? De lui assigner les pires intentions dès qu'il ose faire preuve d'empathie envers un jeune? D'être associé à de répugnants dégénérés prédateurs PAR DÉFAUT? Comme si cela était toujours automatiquement l'hypothèse LA PLUS PLAUSIBLE?
Comme si un homme était incapable d'entretenir une relation épistolaire avec un jeune sans avoir des intentions perverses et malsaines derrière la tête?
Tabarnak! Si ce n'est pas de la crisse de misandrie ça, si ce n'est pas de la paranoïa haineuse et sexiste, ben je ne sais pas ce que c'est!
J'en ai plein le cul de cette saleté de mépris. Une femme qui fait preuve d'empathie est chaleureusement applaudie, félicitée et récompensée. Mais un homme qui fait la même chose se fait regarder de travers et vomir du mépris sexiste en pleine face?
On aura beau me la faire et me la refaire encore et encore celle-là, ça blesse autant à chaque fois. Mon indignation et ma colère sont toujours aussi virulentes. J'ai encore les jambes sciées, comme si c'était la première fois. J'ai encore cette nausée au ventre. J'ai encore cette sensation d'être mort en dedans.
Le message de ma commission scolaire est clair: si tu es un homme et que tu aides un enfant sans que cela fasse partie de ta description de tâche, c'est louche. Tu éveilles les soupçons. Ce n'est pas normal. On va probablement t'avoir à l'oeil.
Peu importe que tu aies eu un impact bénéfique ou pas. Peu importe que, grâce à toi, la petite ait reçu de l'aide et que ses chances de récidive s'abaissent. Peu importe que le fait même que tu aies tiré la sonnette d'alarme démontre que tu fais clairement preuve de compassion, d'empathie et que tu as à coeur le bien-être de la petite!
Rien de tout cela n'a la moindre maudite importance.
Tout ce qui les intéresse, c'est que tu es un homme et que tu es en communication avec un enfant sur Internet. Donc, tu dois être un esti de pédophile.
Et après ça, ils se demanderont pourquoi les hommes ont peur d'enseigner au primaire ou de travailler auprès des jeunes...
Qui est assez fou pour travailler dans des conditions pareilles?
Imaginez qu'à chaque jour que vous rentrez travailler, on vous soupçonne du pire uniquement à cause du contenu de votre pantalon!
Imaginez qu'on vous soupçonne de voler, de mentir, de tricher ou de frauder simplement à cause de votre chromosome XY.
Ou pire, imaginez si on vous soupçonnait PAR DÉFAUT de probablement vouloir VIOLER DES ENFANTS!
C'est ÉCOEURANT traiter du monde de même! ÉCOEURANT!
Et si vous avez lu mon livre, alors vous SAVEZ que ceci n'est pas un événement isolé! Et vous savez que ce n'est pas la première fois que ça m'arrive!
Combien d'enseignants masculins subissent un tel traitement jour après jour, dans le silence, l'isolement et la honte?
COMBIEN?
Si seulement leur sort intéressait quelqu'un...
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À lire également:
De moins en moins de profs masculins
Affection suspecte (la fillette dont il est question dans ce billet qui date de 2015 est justement la même dont je vous parle aujourd'hui).