Le 27 septembre 1945, une Mercedès asthmatique, surnommée la « bétonnière » par les forces d'occupation, emmène l'empereur du Japon, Hiro-Hito, à l'ambassade des Etats-Unis où il doit rencontrer le général MacArthur.
Au cours de cette entrevue, le général demanda à l'empereur pourquoi il n'avait pas été en mesure de prévenir la guerre. Hiro-Hito répondit qu'on « l'aurait enfermé dans un asile de fous, voire peut-être assassiné ».
Comme le démontre Edward Behr, dans sa biographie du souverain Japonais : « Hiro-Hito, l'empereur ambigu », ce dernier mentait.
La question de la responsabilité de l'empereur du Japon dans la guerre du Pacifique demeure encore aujourd'hui sujette à controverse, même si une majorité d'historiens s'accorde pour affirmer que Hiro-Hito ne fut qu'un pantin impuissant entre les mains de militaires va-t-en-guerre. De fait, le simple fait de mettre en doute la version officielle entraîne presque aussitôt l'accusation de « révisionnisme ».
Comment l'un des hommes les plus détestés au monde à l'époque parvint-il à échapper à la justice du « second Nuremberg », c'est ce qu'explique Edward Behr dans un ouvrage passionnant, qui se lit comme un roman, en faisant le portrait d'un souverain astucieux et manipulateur.
Hiro-Hito naît en 1901, sous le règne de son grand-père Meiji. Celui-ci avait mis fin en 1868 au règne des shoguns Tokugawa qui avaient imposé un régime féodal au Japon et cantonné l'empereur à un rôle strictement religieux. Meiji changea tout cela. Régnant effectivement sur le Japon, il lança celui-ci dans un vaste programme de modernisation qui devait porter en quelques années le pays au pinacle des nations industrielles et en faire une grande puissance.
Ce miracle fut en grande partie la conséquence du spectacle déplorable qu'offrait à cette époque le voisin chinois. La Chine était, en effet, devenue à cette époque le jouet des puissances occidentales et les grandes familles qui avaient aidé à faire tomber le dernier shogun, Keiki, tinrent absolument à éviter un pareil sort à leur patrie. Elles se rangèrent donc toutes, à l'unisson, derrière l'empereur.
En 1901, l'armée japonaise participa à l'écrasement de la révolte des Boxers, et du même coup étendit l'empire du soleil levant en faisant main basse sur la Corée, Taïwan et le Kwantung, en Mandchourie. Par ailleurs, le 8 février 1905, la marine japonaise lança une attaque surprise, sans déclaration de guerre, contre la flotte russe, l'anéantissant. Ce geste fut à l'époque célébré et qualifié « d'une audace inouïe » par le Times de Londres.
Les premières années du jeune Hiro-Hito furent difficiles. Séparé de ses parents, il marchait en traînant les pieds, souffrait d'une scoliose et de myopie. Placé sous la tutelle du général Nogi, Hiro-Hito s'imposa une discipline physique et mentale rigoureuse teintée d'ascétisme et de puritanisme. A l'âge de douze ans, il devait subir un double traumatisme : la mort de son grand-père Meiji, suivi du suicide par seppuku de son mentor.
Par la suite, il fut confié à divers précepteurs qui lui enseignèrent la supériorité des Japonais, « Aryens de l'Asie ». Le protocole rigide de la cour et le statut de « dieu vivant » du prince fit que la nature de l'enseignement qu'il reçut n'avait rien à voir avec l'idée que l'on peut s'en faire normalement. La plupart du temps, l'enseignant se tenait assis face au prince et débitait son cours d'une voix monocorde.
Conséquence de la santé déclinante de son père, Hiro-Hito fut appelé à se marier. Avec l'aide de sa mère, l'impératrice Sadako, il parvint à accomplir l'un de ses premiers actes d'indépendance, défiant du même coup, les puissants genro, les conseillers personnels permanents de l'empereur. Jamais ses prédécesseurs n'avaient eu la possibilité de choisir eux-mêmes leur épouse. Ceci ne les dérangeait nullement car ils n'étaient pas monogames et entretenaient de nombreuses concubines. Hiro-Hito, bien décidé à se démarquer du comportement de son père, changea cela. Qui plus est, il fit le choix d'une princesse de second rang, Nagako, de la famille Fushimi. Cette décision devait provoquer une révolution de palais qui devait entraîner la chute du général Yamagata du clan Choshu, et genro de l'empereur : Yoshihito.
En 1921, Hiro-Hito partit pour son premier voyage à l'étranger, avec pour destination la Grande-Bretagne. Libéré de l'atmosphère pesante de la cour, il put pour la première fois se livrer sans contrainte à des activités sportives et de loisir. A Londres, il fut stupéfié de l'accueil de la population, « foule si vaste (qui) n'était soumise à aucun contrôle policier. Il fut particulièrement impressionné du comportement décontracté du roi George V et admiratif du prince de Galles et de son « élégance désinvolte ». Hiro-Hito devait qualifier par la suite, à de nombreuses reprises, qu'il s'agissait là de l'époque la plus heureuse de sa vie. A son retour, il tenta d'imposer une atmosphère plus détendue à la cour, mais une fête qu'il organisa pour l'occasion dégénéra en beuverie au cours de laquelle ses invités – qu'il voulait voir comme des « amis » - le traitèrent avec une familiarité des plus gênantes pour un introverti tel que lui.
A son retour au Japon, Hiro-Hito fut confronté à la crise provoquée par l'assassinat du premier ministre de l'empereur Taisho par un fanatique d'extrême-droite. L'assassin écopa d'une peine de douze ans de travaux forcés et fut doté, à sa sortie, d'une pension à vie par un groupe de droite. Cet assassinat démontre comment, déjà à l'époque, les nationalistes étaient puissants, tout en bénéficiant de « circonstances atténuantes » de la part des tribunaux. Ce genre d'événement devait se répéter périodiquement durant les années précédant la guerre, en particulier à l'égard de tous ceux qui étaient vus comme trop libéraux ou pacifistes. Le rapport Brocade Banner devait estimer plus tard à « huit à neuf cents » les sociétés secrètes d'extrême-droite en 1941.
A cette époque, trois opinions divergentes firent leur apparition au sein de l'establishment japonais. Celle qui voyait dans l'Union Soviétique la menace à abattre, tout en redoutant l'influence communiste sur une société aussi enrégimentée que celle du Japon ; celle qui prônait une « attitude positive » envers la Chine ; enfin, celle dite de la « Ruée vers le sud ».
En 1927, le Japon s'enfonça encore plus dans le nationalisme le plus radical. Une série de faillites bancaires entraîna une récession qui plongea dans la misère la nouvelle bourgeoisie et la paysannerie. Les Zaibatsus – les grands conglomérats industriels – firent main basse sur tout ce qui était à leur portée, déclenchant la colère des nationalistes, militaristes et des sociétés secrètes. Par ailleurs, une purge sévère débarrassa les écoles et universités de tous ceux qui pouvaient être soupçonnés de gauchisme. En 1926, l'entrainement et la formation militaires avaient été étendues à tout le système d'éducation.
Le 18 décembre 1926, l'empereur Taisho était mort. Hiro-Hito le remplaça sous le nom de Showa (Paix et sagesse éclairée). Il avait choisi ce nom lui-même. La constitution de 1889 faisait de lui un souverain « sacré et inviolable ». Dans les faits, il était au-dessus des lois, ne pouvait être déchu du trône et seuls ses ministres pouvaient être tenus pour responsables. Bien que sa marge de manœuvre fut réduite, Hiro-Hito détenait toutefois en dernier recours un droit de veto limité. Il lui suffisait de refuser ou de différer l'apposition du sceau impérial sur les documents qu'on lui présentait. Ainsi, il était informé de tout, et d'ailleurs, très méticuleux « lisait tous les documents qu'il marquait de son sceau ».
A cette époque, en Chine, deux hommes se disputaient les faveurs des japonais, tout en essayant de les tenir à distance : Chiang Kai-shek, le chef du Kuomintang, et Chang Tso-lin, « le roi sans couronne de Mandchourie ». Chang Tso-lin prit le pouvoir à Pékin, entraînant l'offensive des troupes du Kuomintang qui s'opposèrent aux troupes japonaises à Tsinan, le 8 mai 1928. L'offensive japonaise eut pour résultat au moins un millier de morts militaires et civils. Sous la pression des japonais, Chang Tso-lin dut se replier de Pékin pour rejoindre la Mandchourie. Il n'y parvint jamais. Le train qui le ramenait sauta sur une mine japonaise. Ces derniers attribuèrent l'attentat aux « bandits ».
Nul ne peut dire si Hiro-Hito fut au courant du complot. Toutefois, il se saisit de cette opportunité pour se débarrasser du premier ministre Tanaka dont la disgrâce marqua celle du clan Choshu. Quand aux trois principaux conspirateurs, aucun ne fut inquiété par Hiro-Hito, qui aurait pu pourtant mettre fin, d'un coup de plume, à leur carrière. De son côté, le fils de Chang, Chang Hsueh-lang, fit allégeance à Chiang Kai-shek.
Le 6 novembre 1928, Hiro-Hito fut officiellement proclamé empereur. A mesure que l'influence du dernier genro, Saionji, s'amenuisait, il s'entoura de quatre hauts fonctionnaires personnellement choisis : le ministre de la Maison impériale, le garde du Sceau impérial, le premier aide de camp et le grand chambellan. De plus, les chefs d'état-major de l'armée et de la marine avaient leurs entrées privilégiées auprès de l'empereur. Ces quatre hauts fonctionnaires bénéficiaient de la confiance absolue de Hiro-Hito. Il les connaissait depuis de nombreuses années et avait en eux une confiance aveugle.
A la même époque, le Japon désigna un officier de marine subalterne pour participer aux négociations de Londres pour décider de la taille des marines de guerre des grandes puissances. Celui-ci remporta une victoire inattendue en obtenant un tonnage très supérieur à celui qu'attendait Hiro-Hito. De plus, l'aviation navale n'était mentionnée nulle part dans ce marché. Cet homme, partisan des innovations techniques et des porte-avions, n'était nul autre que le contre-amiral Yamamoto. Le Japon était devenu la puissance aéronavale la plus puissante du monde.
Mais pour bien des nationalistes, ce succès était synonyme d'échec. Le premier ministre, Hamaguchi fut abattu le 14 novembre 1930 par un activiste de droite. Hiro-Hito ne réagit guère à cet attentat et l'assassin fut amnistié en 1933. Ce complot devait être suivi de bien d'autres, toujours au nom de l'empereur.
L'un de ceux-ci fut « l'incident de Mukden » qui devait servir de prétexte à l'invasion de la Mandchourie. Tandis que l'armée faisait soigneusement ses préparatifs, l'empereur en fut inévitablement avisé, mais il se contenta de demander à l'armée du Kwantung d'agir « avec prudence et circonspection ». Le premier ministre Wakatsuki envoya un émissaire afin d'annuler tous ces projets en la personne, curieusement, d'un « ultra », le général Tatekawa. Celui-ci prit tout son temps pour accomplir sa mission. Dans la nuit du 19 septembre 1931, une charge de dynamite endommagea la ligne de chemin de fer de Mandchourie méridionale, déclenchant la répression des troupes japonaises. En quelques heures, tout était terminé. Aucun des officiers impliqués ne fut sanctionné. Bien au contraire, lorsque le consul japonais à Mukden suggéra des négociations diplomatiques, il fut menacé de mort par l'un des officiers du colonel Itagaki, l'un des principaux participants. Bien que Hiro-Hito approuva l'ordre du premier ministre aux forces armées de regagner leurs bases, un incident ultérieur laisse supposer qu'il ne fut pas sans lien avec « l'incident de Mukden »: le 30 septembre, un émissaire de l'armée du Kwantung se rendit à Tientsin pour y proposer à l'empereur déchu Pu Yi le trône de la Mandchourie. On ne peut envisager qu'une telle proposition ne se fit sans le consentement de Hiro Hito. Trois mois plus tard, Itagaki fut reçu en personne par l'empereur.
D'autres complots suivirent sans que les coupables ne soient sanctionnés. Hiro Hito laissa agir en conséquence les activistes du « Dragon noir » ou de la « Fleur de cerisier ». Le 8 janvier 1932, un séparatiste coréen commis un attentat sur sa personne. L'incident, sans gravité, déclencha une répression féroce de l'armée japonaise en Chine. Shangai fut bombardée au prix de milliers de morts.
Le 15 mai 1932, le premier ministre Inukai fut abattu par des membres de la « Fraternité du sang ». Le procès qui suivit vira à la farce, les verdicts, prononcés en 1934, d'une indulgence sidérante, et seul six des cinquante-quatre condamnés étaient encore en prison en 1935. « L'incident du 15 mai » mit fin à la politique bipartite et désormais Hiro Hito choisit ses ministres dans les rangs de l'armée et de la marine.
En 1934, un professeur de droit, le docteur Minobe, fut attaqué pour avoir contesté le caractère « sacré et inviolable » de « la volonté impériale » sur la constitution. Il ne s'agissait rien de plus pour l'armée que de liquider définitivement le pouvoir des modérés. Hiro-Hito divagua constamment entre soutien et rejet. Finalement, Minobe fut contraint de démissionner de son poste à la chambre des Pairs en septembre 1935. Il fut par la suite victime de deux attentats.
En mars 1933, le Japon s'était retiré de la Société des Nations. L'isolement du pays était désormais total et Hiro Hito songea à abdiquer. Toutefois, son humeur s'améliora lorsque, en décembre, l'impératrice donna le jour à un garçon : Akihito. 1936, toutefois, devait constituer l'une des pires années de sa vie.
Dans la nuit du 26 février, deux unités de la première Division de la Garde impériale à Tokyo, qui devaient être transférées en Mandchourie, se mirent en action – avec le possible assentiment du prince Chichibu - en se lançant à l'assaut de plusieurs résidences de ministres – en exécutant la plupart - et du commissariat de la police métropolitaine, ainsi que les locaux du journal Asahi Shimbun.
Cette fois-ci, Hiro Hito démontra des capacités de commandant en chef et de chef de clan insoupçonnées. Toute négociation avec les insurgé ne pouvait que lui faire perdre la face. Malheureusement, les commandants militaires sensés le conseiller, empêtrés dans leurs propres querelles, firent preuve d'une incroyable pusillanimité. Une déclaration fut émise qui semblait officialiser les actions des insurgés mais enragea Hiro Hito qui menaça de prendre personnellement la tête de la division des Gardes impériaux. Le 28 février, il promulgua un décret ordonnant aux rebelles de « se retirer au plus vite » des zones occupées. Le 29 février, il lança un ultimatum. Des chars apparurent dans les rues et des avions survolèrent la ville. La rébellion était terminée. Cette fois, il n'y eut pas de clémence envers les insurgés et le 17 juillet 1937, dix-neuf officiers rebelles furent condamnés à mort.
La fermeté avec laquelle Hiro-Hito réprima la révolte impressionna fortement son entourage et les conditions paraissaient idéales à ce moment pour mater définitivement l'agressivité des militaires. Malheureusement, dans les mois qui suivirent, les Etats-unis et la Grande-Bretagne devaient imposer un embargo sur le pétrole de manière à imposer le retrait japonais de la Chine. Ce sont les besoins croissants de l'armée et de la marine en matières premières et la volonté de Hiro-Hito de se concilier les militaires afin d'éviter la répétition d'un « 2/26 » qui entraînèrent la décision d'une « ruée vers le Sud ». Désormais, tous les futurs gouvernements seraient composés de ministres de l'armée et de la marine choisis parmi les officiers d'active, donnant ainsi un droit de veto à ceux-ci dans la formation de tout nouveau gouvernement. L'armée et la marine se verraient désormais accorder des budgets colossaux. Après une succession de premiers ministres militaristes et de vétos contre des candidats libéraux. Hiro-Hito choisit le prince Konoye comme nouveau premier ministre. Celui-ci était très proche de l'empereur et adoptait en sa présence une attitude désinvolte qui rappelait à celui-ci l'ex-prince de Galles (devenu duc de Windsor).
Le 7 juillet 1937 survint « l'incident du pont Marco-Polo » qui dégénéra en guerre à outrance avec l'assentiment de Hiro-Hito et de Konoye. Pékin fut envahie et l'armée japonaise se dirigea vers Shangaï. Le but (de Konoye) « était de renverser Chiang Kai-shek pour le remplacer par des fantoches pro-japonais plus dociles ».
Les diplomates états-uniens et britannique, suite à leurs rencontres avec Hiro-Hito, se montraient confiants. L'empereur était sincèrement désolé de ces événements et cherchait à les freiner. Toutefois, Ernst von Reichenau, un anti-nazi, se fit rapporter par son général de frère, Walter, le récit de sa rencontre avec Hiro-Hito en 1937. Durant un entretien privé avec celui-ci, Walter von Reichenau lui déclara :
« Votre Majesté, mon Führer envisage avec plaisir – au-delà des questions économiques – une plus grande union entre le pays de Votre Majesté et le sien. »
L'empereur lui répondit : « J'ai entendu et je suis satisfait. »
Les biographes de Hiro-Hito théorisent sur sa « volonté défaillante » et son isolement, au milieu d'un entourage de bellicistes. Pourtant tous ceux qu'ils rencontra à cette époque n'étaient pas tous partisans d'une guerre avec la Chine, ainsi le général Kanji Ishiwara, ex-cerveau de « l'incident de Mukden ». De fait, les critiques de Hiro-Hito envers ses généraux étaient qu'ils ne gagnaient pas la guerre assez vite. Pour Hiro-Hito, il s'agissait d'éviter un nouveau « 2/26 » en laissant les militaires se déchaîner en dehors du Japon, tout en s'efforçant d'annihiler l'influence grandissante des communistes en Chine.
Tout cela se fit sous le regard du vieux genro Saionji qui avait été un fervent partisan de la participation du Japon à la SDN, de la démilitarisation, de l'amitié avec Chiang Kai-shek et d'une alliance avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. En décembre 1936, Hiro-Hito ratifia le pacte anti-Komintern. En novembre et décembre 1937 survint le « viol de Nankin ». De nombreux rapports furent rédigés côté japonais pour dénoncer ces atrocités et il est inconcevable que Hiro-Hito ne les découvrit qu'après la guerre comme il le prétendit. Par ailleurs, il est difficile d'imaginer que Hiro Hito ne fut pas au courant de l'existence de la terrible « unité 731 » qui fit entre 3000 et 10 000 victimes civiles et militaires. Le plus jeune frère de Hiro-Hito, Mikasa, visita en personne l'unité 731, de même que son cousin germain, le prince Takeda ; et le prince Chichibu assista en 1939 à une conférence secrète donnée par Ishii, le chef de l'unité.
L'état d'esprit qui régnait à l'époque semble avoir été schizophrénique et progressivement détaché de la réalité. Il était difficile pour les responsables politiques de ne pas réaliser les effets désastreux que cette course à l'abîme entraînerait pour le Japon, mais ils ne pouvaient changer de cap sans perdre la face. L'opposition entre « modérés » et « bellicistes » fit place à celle entre ceux qui croyaient au succès d'une guerre immédiate et ceux qui prônaient de patienter encore quelques années afin de disposer d'une puissance encore plus écrasante.
A cette époque, Hiro-Hito était devenu maître dans l'art de diviser pour régner, opposant armée et marine, pacifistes et bellicistes, faisant fuiter des nouvelles rassurantes vers les diplomates occidentaux. A la suite de la défaite de la France, en juin 1940, le Japon saisit l'occasion de se positionner en Indochine française et le 24 septembre, il prit la décision d'organiser un rituel shintoïste afin de célébrer l'alliance tripartite entre le Japon, l'Allemagne et l'Italie. Le 23 janvier 1941, il discuta avec ses conseillers militaires de l'occupation de l'Indochine, du Laos et du Cambodge et de l'invasion de la Birmanie nécessitant un traité avec la Thaïlande. Sur les cartes dessinant la « Sphère de co-prospérité du grand est asiatique », l'Indochine et les Indes néerlandaises figuraient déjà sous le drapeau du soleil levant.
En 1941, les célébrations du deux mille six centième anniversaire du règne de Jimmu, premier et mythique empereur du Japon, s'accompagnèrent d'un déchaînement nationaliste dans la population et dans la presse nippone. Toutefois, les négociations entre le Japon et les Etats-Unis se poursuivaient. Le 2 juillet, une réunion du Gozen Kaigi, prise en présence de l'empereur, devait fixer la politique du Japon dans les prochains mois. Celle-ci impliquait la préparation d'une guerre avec la Grande-Bretagne et l'Amérique. « L'empereur, fort content, nota Sugiyama, donna son assentiment sur tous ces points. »
Durant les mois qui précédèrent Pear Harbor, les Etats-Uniens, grâce à Magic, étaient au courant de l'abîme qui séparait les déclarations rassurantes des Japonais et leurs préparatifs de guerre. Les négociations se poursuivirent mais virèrent au dialogue de sourds, les exigences préliminaires des uns envers les autres étant virtuellement inacceptables et inversement. Konoye mit tout en œuvre pour organiser un sommet entre lui-même et Roosevelt. Konoye avait donné sa bénédiction à la guerre en Chine, tenté d'éliminer Chiang Kai-shek et été partisan de « l'ordre nouveau ». Ce revirement spectaculaire était pourtant tout à fait dans la tradition japonaise. Dans l'esprit de Roosevelt, Cordel Hull et Churchill, c'était une nouvelle preuve de la duplicité nippone qui rappelait la rencontre Hitler/Chamberlain. La proposition fut repoussée et le 6 septembre, un nouveau Gozen Kaigi engagea le Japon sur le chemin de la guerre de façon irrévocable. Le 16 octobre, Konoye présenta sa démission. C'était sa dernière carte. Il suffisait que Hiro-Hito la rejette pour laisser une chance à la paix. Hiro-Hito accepta sa démission et nomma le général Tojo, premier ministre. Le nouveau gouvernement japonais s'employa désormais à faire durer les négociations le plus longtemps possible. Le 26 novembre, Hull lança un dernier ultimatum au Japon, les soldats américains à l'étranger furent mis en état d'alerte. Le 1er décembre, lors d'un dernier Gozen Kaigi, il fut décidé que le 8 décembre serait le « jour X ». L'empereur n'intervint pas et ne posa aucune question.
Le 6 décembre, le texte codé du mémorandum en quatorze parties, qui se terminait par une déclaration de guerre aux Etats-Unis commença à parvenir à l'ambassade du Japon à Washington. On sait que celui-ci ne fut communiqué à Hull qu'après l'attaque de Pear Harbor. L'empereur devait imputer en 1945 ce retard à « l'imbécilité et (...) l'incompétence totale » des fonctionnaires de l'ambassade. Cette version est infirmée par le témoignage du correspondant à Washington de l'agence Domei, Matsuo Kato : le 6 décembre tout le personnel de l'ambassade assista à un déjeuner qui se prolongea fort tard dans l'après-midi. Plus tard, Kato joua au ping-pong dans le sous-sol de l'ambassade sous le regard du premier secrétaire Katsuko Okamura qui « semblait n'avoir rien à faire » alors qu'il « était chargé de taper à la machine la première partie de la déclaration de guerre envoyée par Tokyo ». Le premier rapport sur l'attaque parvint au ministre de la Marine à treize heures quarante-sept. A quatorze heures vingt, les ambassadeurs Nomura et Kurusu furent introduits dans le bureau de Hull. Ils en furent chassés quelques minutes plus tard, traités de « canailles » et d'« ordures ». Pour leur part, les Britanniques et les Néerlandais furent attaqués sans aucune déclaration de guerre. Il est dit que le retard dans la transmission du memorandum déclencha la « fureur » de Hiro-Hito, pourtant, encore une fois, aucune sanction ne fut prise contre les intéressés.
Après la guerre, Hiro-Hito reçut le prédicateur E. Stanley Jones qui avait servi d'intermédiaire dans l'ultime phase des négociations avec l'envoi d'un télégramme légèrement codé adressé à Hiro-Hito par Roosevelt au moment même où le memorandum était transmis. Il déclara à celui-ci que « s'il avait reçu le télégramme de Roosevelt un jour plus tôt, il aurait stoppé Pearl Harbor ». On ne pourra manquer de comparer ce témoignage à la déclaration que fit Hiro-Hito à MacArthur le 27 septembre 1945.
A mesure que durait la guerre, Hiro-Hito afficha de plus en plus ses regrets de voir son pays en guerre avec la Grande-Bretagne, rappelant avec nostalgie son séjour à Londres et à Balmoral. Il faut noter toutefois que cela allait de pair avec la dégradation de la situation pour le Japon. Auparavant, l'empereur afficha fréquemment sa satisfaction face aux succès nippons, de même qu'allemands. Et s'il conseilla bien à Tojo – le 10 février 1942 – d'envisager « d'éventuels projets de paix », il s'agissait bel et bien d'entériner ces mêmes succès à l'avantage du Japon.
Si on ignore par ailleurs si Hiro-Hito eut une responsabilité ou non dans la marche à la mort de Bataan, le massacre des blessés et les diverses atrocités commises au cours de l'avance japonaise, lorsque ces faits lui furent rapportés, il préféra changer de sujet et n'ordonna aucune enquête.
Seules de rares personnalités déplorèrent la guerre et envisagèrent une défaite prévisible. Parmi celles-ci : l'amiral Yamamoto, l'impératrice douairière Sadako et le prince Konoye. Ces deux derniers subirent en conséquence disgrâce et éloignement du pouvoir.
Le 18 avril, une escadrille de bombardiers B-25, décollant du porte-avion Hornet bombarda Tokyo. Huit aviateurs furent capturés et jugés comme « terroristes » et condamnés à mort. Tojo supplia l'empereur de commuer toutes les peines. Celui-ci ne consentit pas à le suivre complètement et trois des condamnés furent exécutés.
Du 3 au 7 juin eut lieu la bataille de Midway au cours de laquelle les Japonais perdirent quatre porte-avions contre un seul côté états-uniens. Cette défaite fut présentée comme une victoire par la propagande japonaise. « En cette occasion, nota Kido, le comportement de Hiro-Hito fut « digne d'un très grand chef... ». Celui-ci alla jusqu'à proposer la promulgation d'une proclamation impériale à la gloire des « vainqueurs ».
Alors que les alliés avançaient sur tout les fronts, l'impatience de Hiro-Hito s'exacerba et il ne cessa d'exhorter l'armée et la marine à une meilleure coopération, exigeant ne serait-ce qu'une seule victoire dans des termes de plus en plus vifs.
Le 15 juin 1944 commença la bataille de Saipan, première partie intégrante du Japon à être envahie. « Des ordres émanant du palais furent transmis au gouverneur (...) promettant que tous les civils qui périraient (...) seraient élevés au même rang glorieux que les soldats morts au combat ». Tojo tenta d'arrêter le message, sans y parvenir. Ce message eut pour conséquence l'immolation de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants.
Le 20 juin, Tojo fit part aux princes Konoye et Higashikuni de son intention de démissionner. Ces deux partisans de la paix, qui le détestaient, lui conseillèrent malgré tout de rester. La raison en était simple : tant que Tojo demeurait au pouvoir, il serait le bouc-émissaire parfait. Inversement, les responsabilités de la famille impériale s'en trouveraient accrues. Le 24 juin, Kido rencontra à son tour Konoye dans le but de préparer un nouveau gouvernement à la fin de la guerre, dirigé par un prince impérial. Kido préconisa la revendication par Hiro-Hito de l'entière responsabilité de la guerre. Hésitants l'un et l'autre, Konoye et Higashikuni en vinrent à la conclusion qu'il fallait, pour le bien de la dynastie, protéger l'empereur de ses actes.
Dans les semaines qui suivirent, le groupe de conspirateurs s'étoffa et on en vint à l'élaboration d'un plan destiné à convaincre l'empereur d'accepter une forme de capitulation et à forcer Tojo à démissionner. Hiro-Hito eut vent de l'affaire et jugea qu'il s'agissait d'un « comportement irresponsable ». Ses relations envers son second frère, Takamatsu, devinrent tendues alors que celui-ci ne se privait pas de lui dire ses quatre vérités, allant jusqu'à menacer de renoncer à son titre de prince et de devenir roturier.
Le 18 juillet, Tojo démissionna, mais les « ultras » étaient toujours majoritaires au gouvernement, désormais mené par le général Sugiyama qui avait promis la victoire sous un an et requis la peine de mort pour les aviateurs du raid Doolittle.
Au printemps 1945, alors que les raids des B-29 se succédaient, réduisant en cendre des villes entières, une discussion eut lieu à Washington afin de savoir s'il ne convenait pas de lever l'ordre de ne pas bombarder le palais impérial. Plusieurs arguments furent avancés pour s'y opposer, mais l'un des plus déterminant fut que « Hiro-Hito pourra exercer ultérieurement une influence utile ».
Le 10 mai, un sous-marin allemand, l'U-234 capta l'ordre de l'amiral Doenitz de se rendre. La guerre était finie en Europe. Il se rendit à un équipage de la marine états-unienne le 14. Entre-temps, deux ingénieurs japonais qui se trouvaient à bord s'étaient suicidés. La destination de l'U-boot était le Japon. Parmi sa cargaison, on découvrit cinq cent soixante kilos d'oxyde d'uranium. Cette découverte pourrait avoir eu pour conséquence la décision du président Truman de cibler deux villes japonaises à l'aide de bombes atomiques. Robert Wilcox rapporte dans son livre Japan's Secret War; le témoignage de David Snell qui interrogea, après la guerre, un ingénieur japonais, témoin oculaire d'une explosion atomique au large de Hungnan, le 10 août 1945. Encore une fois, il n'existe aucune preuve que Hiro-Hito ait été au courant de cette odyssée ou d'un programme nucléaire japonais, mais compte tenu de son intérêt pour les armes nouvelles et la science en général, on peut estimer crédible qu'il le fut.
L'Allemagne nazie avait capitulé, l'Union soviétique avait officiellement annoncé que son pacte de non-agression avec le Japon ne serait pas renouvelé, Okinawa était sur le point de tomber et une invasion du Japon était imminente. En dépit de tout, le concept de paix restait aussi étranger que possible à une nation aussi imprégnée de la tradition militaire nippone. Le 8 juin, le Conseil adopta une résolution réclamant « le suprême sacrifice de soi » et « la mort honorable de cent millions d'hommes ». Le document fut ratifié le même jour par Hiro-Hito.
Sous la pression de Kido, Hiro-Hito se rendit néanmoins à l'évidence. Les militaires l'avaient encouragé à croire que les Etats-Uniens détruiraient le « système impérial », de l'exiler ou de le juger, voire de prendre sa famille en otage. Il fit alors appel à Konoye pour tenter une médiation avec les Russes. Après l'avoir fait lanterner jusqu'en juillet, l'adjoint de Molotov finit par lui apporter une fin de non-recevoir.
Le 16, les alliés se rencontrèrent à Potsdam pour lancer un ultimatum au Japon. Ils réclamaient « la capitulation sans conditions de toutes les forces armées japonaises ». La déclaration comprenait également la phrase : « Nous n'avons pas l'intention de réduire la race japonaise en esclavage, ni de la détruire en tant que nation (...) ». Il n'était pas fait mention du système impérial. Le Conseil choisit de communiquer une version expurgée à la presse. Par ailleurs, l'amiral Suzuki annonça sa décision de « mokasatsu », c'est à dire de « la tuer par le silence » ou de « la traiter par le mépris silencieux ». Le 6 août, l'Enola Gay largua sa bombe sur Hiroshima.
Enfin, Hiro-Hito prit la résolution d'arrêter le conflit, mais l'appareil gouvernemental était si lourd et si lent que le Conseil suprême ne se réunit que le 9. Ce matin-là, les troupes soviétiques se déversèrent en Mandchourie et une seconde bombe frappa Nagasaki. En dépit de tout cela, trois membres du Conseil s'opposèrent encore à l'idée d'une défaite, tandis que trois autres étaient en faveur de la paix. Ce fut Hiro-Hito qui trancha. Il allait faire une déclaration au peuple japonais. Un câble fut expédié aux ambassades de Berne et de Stockholm pour transmission immédiate aux signataires de Potsdam. Le Japon acceptait de se soumettre aux termes de la déclaration « étant bien entendu que la dite déclaration ne comporte nulle demande risquant de porter préjudice aux prérogatives de Sa Majesté en sa qualité de souverain ».
A midi, le 15 août 1945, cinquante millions de Japonais se rassemblèrent pour écouter le discours de l'empereur. L'atmosphère était tendue, chacun s'attendant à se voir demander le sacrifice suprême. Peu de gens comprirent sans doute la nature du discours. Hiro-Hito s'exprimant dans un langage ancestral connu de lui seul. Un speaker dut intervenir au micro afin d'expliquer et commenter en langage ordinaire. Le soulagement fut général et l'atmosphère festive. Ce ne fut que plus tard que l'on réalisa que pas une fois les mots de « défaite » ou de « capitulation » n'avaient été prononcés. L'empereur avait simplement décidé de mettre fin à la guerre. Clyde Haberman du New York Timesécrivit plus tard : « On pourrait pardonner à quiconque habite le Japon de nourrir l'impression que la seconde guerre mondiale a commencé le 6 août 1945 (...). Hiroshima et Nagasaki ont permis aux Japonais de se persuader qu'ils étaient, avec la possible exception des juifs, les plus grandes victimes de la guerre ».
Durant les premiers jours de la paix, Hiro-Hito demeura dans l'incertitude. Devrait-il abdiquer ? Serait-il chassé ou accusé de crimes de guerre ? Kido le dissuada d'abdiquer, ce qui risquerait « d'abaisser le système impérial » et sonnerait comme un aveu de culpabilité.
En Australie, en Nouvelle-Zélande, en Union soviétique, aux Pays-Bas et en Chine, on réclamait avec insistance de voir Hiro-Hito passer en jugement, mais la décision viendrait de Washington. Certains spécialistes étaient contre car si l'empereur prenait sur lui l'entière responsabilité de tout, il deviendrait impossible de sanctionner ceux qui l'avaient servi. Un professeur de la Columbia University, Homer H. Dubs, soumit un rapport dans lequel il recommandait de destituer Hiro-Hito. Il notait que « l'actuelle pratique américaine qui consiste à se garder de critiquer l'empereur (…) fait le jeu des Japonais nationalistes. Ils peuvent ainsi déclarer à leurs concitoyens que les Américains eux-mêmes respectent l'inviolable mikado et qu'il leur inspire une crainte quasi-religieuse ».
Il n'existe aucune version intégrale du premier entretien entre Hiro-Hito et MacArthur car les deux protagonistes s'accordèrent pour le garder secret. MacArthur n'en communiqua même pas la teneur à son président ou au Département d'État. Il est très probable que c'est à cette occasion que MacArthur persuada l'empereur de ne pas abdiquer.
Le « second Nuremberg » fut une gigantesque farce. On commença par arrêter le très vieux et inoffensif prince Nashimoto, grand-prêtre du sanctuaire d'Ise avant de le relâcher. Fin 1945, MacArthur fit remarquer que « tous les grands criminels de guerre ont été arrêtés et jugés (...) en Allemagne ; or, ici, nous n'en avons pas arrêté un seul (...) ». L'un de ses adjoints, Atchison réclama une liste de dix ou douze personnes « qui méritent d'être inculpées et de les arrêter ». Une liste de dix personnes fut établie et celles-ci furent arrêtées. Une semaine plus tard, MacArthur revint à la charge, et une nouvelle liste fut établie. Parmi les noms proposés figurait Konoye qui fit le choix de se suicider à l'annonce de son arrestation. Apprenant sa mort, Hiro-Hito afficha une parfaite indifférence.
L'homme qui devait devenir le procureur général du Tribunal militaire international d'Extrême-Orient (TMIEO) était Joseph B. Keenan, qui avait fait condamner Al Capone. Le choix se révéla désastreux. Truman l'avait choisi pour cette tâche afin de se débarrasser de lui. C'était un alcoolique. Il réussit à s'aliéner quelques-uns des plus brillants juristes du « Supreme Command for the Allied Powers » (SCAP) à Tokyo et le président australien du tribunal, tout en manifestant un mépris profond pour les us et coutumes du Japon. En grimpant dans l'avion qui devait l'emmener au Japon, il se vit remettre une lettre de Truman lui apprenant que Hiro-Hito et toute la maison impériale était intouchables. Le 25 janvier 1946, MacArthur, dans une lettre aux chefs d'état-major interarmées, avait brandi le spectre, en cas de passage en jugement d'Hiro-Hito, du chaos administratif, de la guérilla, de la montée du communisme et du besoin d'entretenir, au Japon, une garnison d'un millions d'hommes. Dans une lettre à Washington; il fit tout pour officialiser la thèse de « l'empereur fantoche ».
Par la suite, tout fut mis en œuvre pour éviter l'assignation de Hiro-Hito comme témoin et Keenan refusa de communiquer à l'accusation le journal intime de l'empereur.
Keenan, encore, s'efforça toujours de faire tenir aux accusés des propos tendant à blanchir l'empereur et renforcer la thèse du « fantoche ».
Un incident, le 31 décembre 1947, faillit gripper cette belle machinerie. La partie du procès concernant Tojo s'achevait lorsque celui-ci fut interrogé par l'un des défenseurs de Kido : avait-il jamais « émis des suggestions ou pris des mesures allant à l'encontre du désir de paix de l'empereur ? » Tojo répondit qu'aucun « d'entre nous n'aurait osé agir contre la volonté de l'empereur ». Cette réponse mettait à terre la thèse de « l'empereur fantoche » et Keenan s'employa à créer un contre-feu. Par l'entremise de son collaborateur, Ryukushi Tanaka, ancien officier des services de renseignements, il s'efforça de faire pression sur Tojo pour qu'il revienne sur ses déclarations. Tojo refusa. Tanaka s'adressa alors Matsudaira, le ministre de la Maison impériale, qui fit pression sur Tojo par l'intermédiaire de Kido. Le 6 janvier, au cours d'une nouvelle séance de questions, Tojo se rétracta.
Le 12 novembre 1948 survint le verdict de la cour : aucun des accusés n'était acquitté et sept d'entre eux furent condamnés à mort, dont Tojo et le général Matsui, qui avait tenté de prévenir le « viol de Nankin ».
Parmi ceux qui ne furent jamais inquiétés figure le général Shiro Ishii, le « Mengele » japonais, responsable de l'« unité 731 » qui avait obtenu l'immunité de la part de MacArthur en échange de ses travaux.
Le 1er janvier 1946, Hiro-Hito avait renoncé officiellement à sa « divinité » pour devenir un monarque constitutionnel. Il commença à apparaître fréquemment en public mal fagoté dans des costumes élimés et mal taillés – initiative destinée à lui permettre de montrer l'exemple au peuple. Il est évident, au vu de sa maladresse, que ce nouveau rôle ne lui convenait guère, mais il contribua à le présenter au yeux du monde comme un personnage risible « qui se laissait diriger par son entourage ».
A sa mort, le 7 janvier 1989, son fils Akihito penchait pour des funérailles dépouillées pour son père, suivies d'un couronnement discret pour lui-même, mais là encore, l'influence des conservateurs du PLD et des traditionalistes de la Maison impériale se conjugua pour obtenir des cérémonies traditionnelles et somptueuses.
Pour finir, Edward Behr dresse un portrait affligeant du Japon moderne, comparant le PLD, parti au pouvoir de façon quasi-constante depuis la fin de la guerre, au Front National français et insistant sur la censure permanente qui frappe les manuels scolaires sur le rôle du pays pendant la guerre. L'éternel argument du ministère de l'Éducation est qu'il « n'est pas nécessaire d'envisager une reconsidération de la guerre dans les livres scolaires, puisque les élèves d'aujourd'hui ne sont nullement concernés. Ils sont nés longtemps après ». Le caractère « unique » des Japonais est constamment mis en avant, permettant la limitation de produits aussi divers que les skis, le bœuf du Charolais ou le riz. On va jusqu'à avancer que – contrairement aux races dites « européennes » qui descendraient des chimpanzés – les Japonais descendraient de primates « orientaux ». Ce caractère « unique » « justifie une double échelle des valeurs et permet de n'attacher aucune flétrissure morale au comportement que l'on peut avoir envers les « étrangers ».