Merci à Fylouz qui m'a dirigé vers ce très intéressant article:
Un camarade journaliste et moi-même avons lancé, mi-février, le Petit XXIe, à la fois un compte Twitter et un Tumblr, qui illustre chaque jour l’actualité avec des cases tirées des aventures de Tintin.
(...) Malheureusement, à la suite de ces articles parus dans la presse, il y a quelques jours, presque toutes les images ont été supprimées par la plate-forme de blog Tumblr «à la demande des ayants droit».
Ecrivant tous deux de temps à autre sur la bande dessinée, nous savions que les Editions Moulinsart, qui possèdent les droits d’exploitation de Tintin, ne sont pas réputées pour leur souplesse. Dans le petit monde du neuvième art, elles ont même très mauvaise réputation. Nick Rodwell, le gérant, mari de la veuve d’Hergé, est connu comme le loup blanc pour être prêt à tout pour préserver la poule aux œufs d’or. Récemment, il a même émis l’idée de sortir un nouveau Tintin pour éviter que le petit reporter ne bascule dans le domaine public en 2052, s’asseyant au passage sur les volontés d’Hergé qui n’a jamais souhaité que la série continue après sa mort.
Mais nous pensions pouvoir éviter le joug des éditions Moulinsart. Le Petit XXIe, tout-à-fait non lucratif, n’a pour but que de rendre hommage à Tintin et à la richesse de l’œuvre d’Hergé. Il ne dévoile jamais un album en entier, seulement une case à chaque fois, conformément au droit de citation qui s’applique à toute œuvre. Nous leur avons donc envoyé un mail pour comprendre l’objet de leur courroux après la disparition des images sur notre Tumblr. Leur service juridique nous a répondu plutôt cordialement et rapidement.
«La jurisprudence considère une case des albums les Aventures de Tintin comme une œuvre à part entière. Or, la citation s’entend par nature d’un extrait, d’un passage, d’une œuvre constituant un tout», nous a-t-on expliqué. Toute case étant une œuvre d’art, cela rendrait donc impossible de citer Tintin dans aucune circonstance que ce soit, à moins de n’en citer que le texte?
(...) Dans son mail, le service juridique nous explique également que Moulinsart s’efforce «de maintenir le caractère neutre et dépourvu d’idéologie politique (et autre) de l’œuvre d’Hergé. Nous n’autorisons en conséquence jamais son association avec ce domaine».
Les Soviets, les Picaros, le Lotus bleu, l’Or noir, la Syldavie, sans oublier «l’expurgée» Etoile mystérieuse, dire que Tintin n’est pas politique, c’est un peu comme écrire que la Bible n’est pas religieuse, c’est absurde. Mais soit, on pourrait comprendre que Moulinsart ne souhaite pas que son petit reporter soit associé à une cause en particulier. Sauf que ce n’était absolument pas le but de notre démarche. Nous avons simplement cherché à illustrer l’actualité, nous avons plaisanté sur les écoutes de Sarkozy comme sur la déroute du PS aux municipales. En aucun cas nous avons voulu défendre la gauche, la droite, Copé ou la boucherie Sanzot, Hollande ou Séraphin Lampion.
(...) Aux Etats-Unis, Marvel et DC, s’ils savent aussi être pénibles, ont tout de même laissé leurs personnages de superhéros vivre leur vie. Superman, Batman ou Spiderman ne sont ainsi plus seulement des personnages de comics, ce sont aussi des héros de cinéma et d’Internet. Ce sont des mèmes, utilisés à satiété pour commenter l’actualité ou simplement pour faire des blagues. Cela rend ces héros créés au lendemain de la Grande Dépression pour le premier, juste avant la Seconde Guerre mondiale pour le second, et dans les années 60 pour le troisième, encore bien vivants. Ils ont réussi le pari d’être une partie intégrante du patrimoine culturel américain tout en restant en phase avec la société. Pour Marvel, ce détournement des œuvres est loin d’être un problème et a même permis à l’entreprise de devenir un studio hollywoodien surpuissant.
Tintin, pour le monde francophone, pourrait être la même chose. Un étendard et un bien culturel commun. Un signe de fierté à promouvoir pour montrer la capacité de notre culture à éclairer et interpréter les enjeux du monde actuel. Au contraire, les éditions Moulinsart ont choisi de mettre le petit personnage sous cloche, dans un musée d’où il n’a pas le droit de sortir. Il prend doucement la poussière. Face à la concurrence des héros de comics et de mangas, accessibles partout et tout le temps, Tintin est invisible. Les jeunes, petit à petit, ne se tourneront plus vers lui. Ils vont l’oublier. Au-delà d’une simple ligne de bénéfices en bas du bilan comptable des éditions Moulinsart, de toute évidence, Tintin se meurt.