Je n'ai pas parlé de cette BD lorsqu'elle a paru, il y a quelques années. La raison est simple: j'étais trop déçu. La série originale est si exceptionnelle à tant de niveaux et les créateurs qui avaient été engagés pour ce projet de prequel étaient si talentueux que mes attentes étaient inévitablement très élevées.
Malheureusement, le résultat m'a d'abord semblé horriblement ordinaire, pour ne pas dire médiocre. Ma réaction initiale s'approche de celle du créateur des Watchmen, Alan Moore, lorsqu'il dit:
"What the comics industry has effectively said is, 'Yes, this was the only book that made us briefly special and that was because it wasn't like all the other books.' Watchmen was something that stood on its own and it had the integrity of a literary work. What they've decided now is, 'So, let's change it to a regular comic that can run indefinitely and have spin-offs.' and 'Let's make it as unexceptional as possible.' Like I say, they're doing this because they haven't got any other choices left, evidently."
Je dois dire que l'idée de dédier une série de comics à chacun des personnages séparément m'a également semblé être une erreur, ce qui rejoint également l'opinion de Moore:
"They weren't designed to work like that, and I'm the person who designed them. They were designed to work in an ensemble piece. They're in some ways very generic characters--deliberately so. They were kind of archetypal comic book characters, or were intended as such. So, no I don't think this can work creatively."
Bref, j'ai lu un des recueils, j'ai été très déçu. Alors je l'ai juste foutu sur une tablette et je suis passé à autre chose.
Mais récemment, j'ai décidé de lui donner une seconde chance. Je ne me souvenais d'à peu près rien de ma première lecture, à part ma propre déception. Cette fois-ci, j'ai donc entamé ce recueil avec des attentes presque nulles. J'ai décidé de le lire sans le comparer à la série originale Watchmen, l'une des plus extraordinaires séries de l'histoire de la BD américaine. Je l'ai simplement lu comme j'attaquerais n'importe quelle série quelconque.
Et cette fois-ci, je dois bien avouer que j'ai trouvé ce comic-book correct. Je ne dirai pas "bon" parce que ça me semble être presqu'un sacrilège... mais si j'étais honnête et que ce comic mettait en scène n'importe quels autres personnages, je dirais que c'est bon.
Et il a un plaisir certain à ENFIN retrouver les personnages qui ont brillé si brièvement, il y a 30 ans.
NITE OWL
La première série met en vedette le second Nite Owl et raconte essentiellement sa jeunesse, sa découverte de l'identité du premier Nite Owl, la relation qui s'est développé entre eux et qui a finalement mené à son remplacement.
On a également droit à l'historique de la collaboration entre Nite Owl et Rorschach. Ce dernier possède même sa propre histoire parallèle à un moment donné dans laquelle il est confronté à un pasteur dément qui tue des prostitués et qui empile leurs cadavres dans le sous-sol de son église.
Finalement, on nous raconte également l'histoire d'amour entre Nite Owl et Twilight Lady. C'est cette dernière qui amènera Nite Owl à s'éloigner de ses criminels de rue traditionnels pour s'attaquer à un puissant caïd qui vend des femmes kidnappées pour en faire des prostituées.
L'histoire de Straczynski se tient et contient plusieurs moments forts. Lorsque le jeune se retrouve dans la cachette du vieux Nite Owl, par exemple. Ou lorsque les deux personnages se rencontrent pour la première fois. Ou encore la mort de son père. Le récit est régulièrement marqué de ses moments, si bien qu'on reste accroché du début à la fin.
Mais force est d'admettre que Nite Owl n'est essentiellement qu'une espèce de Batman qui, lorsqu'il est retiré du contexte de la saga Watchmen, est plutôt inintéressant et banal. De plus, il m'a semblé qu'à certains moments, le personnage me semble même se comporter d'une façon qui est incompatible avec le Nite Owl de la série Watchmen. Il semble plus confiant, moins geeky, plus sombre. Peut-être s'agit-il d'une tentative de Straczynski de rendre le perso plus cool? Si c'est le cas, ce n'est pas très réussi.
Rorschach, lui, m'a semblé plus juste. Son rôle dans cette série me paraît tout à fait compatible avec la série Watchmen. Les parallèles qui sont créés entre la jeunesse de Rorschach et celle de Nite Owl, similaires à bien des égards mais avec des résultats diamétralement opposés, sont très intéressants. Le "punch" de l'histoire de Rorschach, c'est lorsqu'il trouve sa fameuse pancarte sur laquelle il est écrit "The end is nigh". J'ai trouvé que c'était un clin d'oeil intéressant, mais en même temps, que c'était un peu cheap et facile.
Bref, c'est quand même une lecture divertissante, mais sans plus. Elle n'a certes pas la complexité, la profondeur ou le méta-langage de la BD originale. Même pas proche.
Les dessins sont d'Andy Kubert, un artiste très connu et célébré aux USA. Bien que je n'aie jamais été un grand fan, je dois avouer qu'il est très efficace dans cette série. Ses dessins sont fort bien réussis, ses cases offrent des angles de vue très dynamiques, ses personnages sont expressifs et crédibles. Ses dessins du pasteur lui donnent une apparence complètement diabolique comme seul lui sait le faire.
C'est con, mais le seul moment où je l'ai trouvé mauvais, c'est lorsque Nite Owl rencontre Twilight Lady pour la première fois. Cette dernière est flambant nue dans cette scène et ses seins sont, très franchement, ratés. Je ne parle pas de réalisme ici, je n'ai aucun problème à ce que le physique des super-héros soit plus ou moins plausible... mais les mamelons sont tout simplement bizarres. On dirait quasiment qu'ils ont été ajoutés par la suite par un ado lubrique, vous voyez ce que je veux dire? Ils ressemblent à deux petits beignes roses. Ça donne l'impression que l'artiste n'était pas confortable de les dessiner ou encore qu'il n'en a pas vu de vrais depuis très longtemps... C'est malheureux parce que cette scène est intéressante et permet d'explorer plus en profondeur les personnalités des personnages, surtout celle de Rorschach, et elle vient diviser les deux protagonistes à un moment-clé de l'histoire.
Bon... j'avoue que, peut-être, ceci en dit plus long sur mes propres obsessions mammaires que sur la qualité des dessins de Kubert! ;-)
DR. MANHATTAN
Cette mini-série m'a semblé plus originale et intéressante que celle de Nite Owl, mais je suis un amateur invétéré d'histoires de voyages dans le temps et d'uchronies, alors je manque peut-être d'objectivité.
Le Dr. Manhattan est sur Mars et est plongé dans une réflexion à propos de son existence. Il regarde une photo de lui et de Jane, sa première petite amie.
Pour lui, le temps n'a plus aucune signification: il existe simultanément dans le passé, le présent et l'avenir. Il se demande alors s'il serait possible pour lui d'exister dans le passé lointain, avant même sa transformation en Dr. Manhattan.
Il tente donc l'expérience et sa conscience arrive effectivement à percer cette barrière temporelle. Il peut ainsi assister aux événements en direct, mais il ne peut être vu ou s'adresser à qui que ce soit. Il se voit donc lui-même, dans les derniers moments avant sa transformation. Il s'observe alors qu'il rend dans la voûte dans laquelle il sera momentanément enfermé et complètement atomisé.
Sauf que... rien ne se produit. Il se voit prendre son manteau et quitter, indemne! Comment est-ce possible? Une nouvelle vie se déroule alors sous ses yeux, une vie qu'il n'a jamais connu. Il marie Jane, il vieillit normalement, etc. Et cette vie se subdivise en réalités parallèles dans lesquelles les événements évoluent différemment pour créer des réalités alternatives.
Celles-ci se termineront-elles toutes dans le feu d'une guerre nucléaire globale? Le Dr. Manhattan doit-il absolument exister afin d'empêcher un tel dénouement? Et si c'est le cas, comment peut-il assurer sa propre création?
Comme je le disais, on a droit à un scénario solide de Straczynski. C'est une histoire intéressante qui se lit en état d'alerte intellectuelle et qui fait réfléchir. Elle me semble s'embriquer parfaitement dans la mythologie des Watchmen et y apporte même quelques éléments de contexte intéressants. Par exemple, lorsque le Dr. Manhattan se retrouve face à un problème qui lui semble insoluble et que ses visions du futur deviennent floues, il s'adresse au seul homme doté d'un intellect qui peut être capable de le comprendre: Ozymandias. Or, cette conversation amènera ce dernier à échafauder le plan machiavélique que nous connaissons. J'ai aimé.
Les dessins sont signés Adam Hughes, l'un des plus talentueux bédéistes qui soit. Ses dessins sont tout simplement sublimes. Il se limite principalement à dessiner des couvertures ces dernières années, alors ce fut un réel plaisir d'admirer à nouveau des planches dessinées de sa main.
MOLOCH
Le recueil offre une troisième série qui raconte la vie de Moloch, le criminel réformé que l'on rencontre brièvement dans la série Watchmen.
Le scénario est encore une fois signé Straczynski et il est généralement bon. On suit Moloch à travers son enfance éprouvante, son apprentissage de la magie, ses premiers crimes, l'édification de sa carrière criminelle, ses affrontements contre les Minutemen, sa réforme, etc.
On voit également en détails sa rencontre avec Ozymandias et comment ce dernier le manipule et l'utilise à ses propres fins.
Bon, ce qu'on apprend est généralement trivial et peu important dans le "big picture" de la saga Watchmen, mais c'est tout de même une histoire intéressante. Straczynski crée un profil psychologique crédible pour ce personnage, si bien qu'on finit par le trouver attachant malgré ses nombreux méfaits.
Les dessins de Risso sont bons. Pas spectaculaires, mais bons. Et, je crois, parfaitement adaptés au style de récit qu'on nous sert ici.
Tout ça pour dire qu'à ma deuxième lecture, je n'ai pas été horrifié par ce recueil autant que je l'ai été la première fois.
Au point où je me demande si je ne devrais pas lire les autres. Je m'étais promis de ne pas le faire sur le coup, mais ma curiosité est peut-être en train de prendre le dessus...