Le philosophe Alain Deneault n'y va pas de main morte... mais malheureusement, je crois qu'il a raison:
C'est d'une «révolution anesthésiante» qu'il s'agit. Celle qui nous invite à nous situer toujours au centre, à penser mou, à mettre nos convictions dans notre poche de manière à devenir des êtres interchangeables, faciles à ranger dans des cases.
(...) Dans un régime de gouvernance, l'action politique est réduite à la gestion, à ce que les manuels de management appellent le «problem solving»: la recherche d'une solution immédiate à un problème immédiat, ce qui exclut toute réflexion de long terme, fondée sur des principes, toute vision politique du monde publiquement débattue.
(...) Le système encourage l'ascension des acteurs moyennement compétents au détriment des super compétents ou des parfaits incompétents. Ces derniers parce qu'ils ne font pas l'affaire et les premiers parce qu'ils risquent de remettre en cause le système et ses conventions. Le médiocre doit avoir une connaissance utile qui n'enseigne toutefois pas à remettre en cause ses fondements idéologiques. L'esprit critique est ainsi redouté car il s'exerce à tout moment envers toute chose, il est ouvert au doute, toujours soumis à sa propre exigence. Le médiocre doit «jouer le jeu».
(...) Jouer le jeu, c'est accepter de ne pas citer tel nom dans tel rapport, faire abstraction de ceci, ne pas mentionner cela, permettre à l'arbitraire de prendre le dessus. Au bout du compte, jouer le jeu consiste, à force de tricher, à générer des institutions corrompues.
(...) Le recteur de l'Université de Montréal l'a affirmé sur le ton de l'évidence à l'automne 2011 : «Les cerveaux doivent correspondre aux besoins des entreprises.» Des entreprises qui justement siègent au conseil d'administration de l'université, même si celle-ci demeure largement financée par l'Etat.
(...) Dans l'ordre de la gouvernance, le service public disparaît et sa terminologie avec. Le patient d'un hôpital, l'usager du train ou du métro, le spectateur d'une salle de concert, l'abonné d'un musée, tous deviennent des «clients». A la radio d'Etat, au Québec, un journaliste culturel m'a récemment demandé si j'étais «consommateur de théâtre».
(...) L'expert est souvent médiocre, au sens où je l'ai défini. Il n'est pas incompétent, mais il formate sa pensée en fonction des intérêts de ceux qui l'emploient. Il fournit les données pratiques ou théoriques dont ont besoin ceux qui le rétribuent pour se légitimer. Pour le pouvoir, il est l'être moyen par lequel imposer son ordre.
(...) Revenir à la culture et aux références intellectuelles est également une nécessité. Si on se remet à lire, à penser, à affirmer la valeur de concepts aujourd'hui balayés comme s'ils étaient insignifiants, si on réinjecte du sens là où il n'y en a plus, quitte à être marginal, on avance politiquement. Ce n'est pas un hasard si le langage lui même est aujourd'hui attaqué. Rétablissons-le.
C'est d'une «révolution anesthésiante» qu'il s'agit. Celle qui nous invite à nous situer toujours au centre, à penser mou, à mettre nos convictions dans notre poche de manière à devenir des êtres interchangeables, faciles à ranger dans des cases.
(...) Dans un régime de gouvernance, l'action politique est réduite à la gestion, à ce que les manuels de management appellent le «problem solving»: la recherche d'une solution immédiate à un problème immédiat, ce qui exclut toute réflexion de long terme, fondée sur des principes, toute vision politique du monde publiquement débattue.
(...) Le système encourage l'ascension des acteurs moyennement compétents au détriment des super compétents ou des parfaits incompétents. Ces derniers parce qu'ils ne font pas l'affaire et les premiers parce qu'ils risquent de remettre en cause le système et ses conventions. Le médiocre doit avoir une connaissance utile qui n'enseigne toutefois pas à remettre en cause ses fondements idéologiques. L'esprit critique est ainsi redouté car il s'exerce à tout moment envers toute chose, il est ouvert au doute, toujours soumis à sa propre exigence. Le médiocre doit «jouer le jeu».
(...) Jouer le jeu, c'est accepter de ne pas citer tel nom dans tel rapport, faire abstraction de ceci, ne pas mentionner cela, permettre à l'arbitraire de prendre le dessus. Au bout du compte, jouer le jeu consiste, à force de tricher, à générer des institutions corrompues.
(...) Le recteur de l'Université de Montréal l'a affirmé sur le ton de l'évidence à l'automne 2011 : «Les cerveaux doivent correspondre aux besoins des entreprises.» Des entreprises qui justement siègent au conseil d'administration de l'université, même si celle-ci demeure largement financée par l'Etat.
(...) Dans l'ordre de la gouvernance, le service public disparaît et sa terminologie avec. Le patient d'un hôpital, l'usager du train ou du métro, le spectateur d'une salle de concert, l'abonné d'un musée, tous deviennent des «clients». A la radio d'Etat, au Québec, un journaliste culturel m'a récemment demandé si j'étais «consommateur de théâtre».
(...) L'expert est souvent médiocre, au sens où je l'ai défini. Il n'est pas incompétent, mais il formate sa pensée en fonction des intérêts de ceux qui l'emploient. Il fournit les données pratiques ou théoriques dont ont besoin ceux qui le rétribuent pour se légitimer. Pour le pouvoir, il est l'être moyen par lequel imposer son ordre.
(...) Revenir à la culture et aux références intellectuelles est également une nécessité. Si on se remet à lire, à penser, à affirmer la valeur de concepts aujourd'hui balayés comme s'ils étaient insignifiants, si on réinjecte du sens là où il n'y en a plus, quitte à être marginal, on avance politiquement. Ce n'est pas un hasard si le langage lui même est aujourd'hui attaqué. Rétablissons-le.