Les attaques fusent contre la liberté d'expression ces derniers temps et c'est très, très inquiétant.
Le plus récent exemple est un cas très intéressant pour un paquet de raisons. Mais avant de décortiquer tout ça, un peu de contexte:
Le jeune chanteur Jérémy Gabriel, connu du public sous le surnom du «petit Jérémy», poursuit l'humoriste Mike Ward. Il l'accuse d'avoir brisé sa carrière et allègue que les blagues qu'il a faites à son sujet l'ont mené au bord du suicide. Or, l'enjeu de ce procès, qui a commencé hier au Tribunal des droits de la personne, soulève une question fondamentale: l'humoriste a-t-il outrepassé les limites de sa liberté d'expression?
Habituellement, ma position est sans équivoque: la liberté d'expression ne doit pas être entravée, sauf en cas de propagande haineuse et de menaces. Toutefois, dans ce cas-ci, je dois vous avouer que cette réponse me semble simpliste et insatisfaisante. C'est un signe que la question mérite qu'on s'y attarde.
Mais tout d'abord, si nous voulons vraiment miser sur l'essentiel, mettons de côté trois aspects de l'affaire.
Premièrement, non, je n'aime pas particulièrement Ward, il ne me fait pas souvent rire, mais cela n'a aucune importance. Ce n'est pas la qualité ou le bon goût de ses jokes qui est le coeur de la question.
Deuxièmement, oui, je peux compatir avec la famille du jeune homme. Ayant moi-même une soeur handicapée, je serre les poings à l'idée qu'un humoriste pourrait se moquer d'elle publiquement. Je comprends parfaitement l'indignation de la famille et la douleur du jeune. Mais encore une fois, ce n'est pas ça le coeur de la question.
Troisièmement, d'un point de vue moral, la question est facile à trancher. Il est complètement indéfendable de s'attaquer ainsi à une personne vulnérable. Si j'ai bien compris, Ward s'est attaqué à l'apparence physique du jeune et a insinué qu'il avait fait une fellation au pape. Bref, il tournait en dérision l'apparence physique et la sexualité d'un enfant handicapé. C'est profondément immoral, je pense que cela saute aux yeux de quiconque est doté d'un minimum d'empathie. Mais encore une fois, il n'est pas question de la moralité de l'acte, mais plutôt de sa légalité.
Au-delà de Ward et de ce garçon, la vraie question est de savoir s'il faut ajouter ou non des limites légales à la liberté d'expression.
Comme je le disais plus haut, certaines limites existent déjà. La loi interdit la propagande haineuse et les menaces et je crois que c'est très bien ainsi. Mais dans le cas qui nous intéresse, il ne s'agit ni de l'une, ni de l'autre. Ward n'a pas tenu de propos haineux et il n'a menacé personne. On parle d'un humoriste qui s'est moqué d'une personnalité publique.
Ma position traditionnelle est que la liberté d'expression est sacrée et qu'elle ne doit pas être entravée. Mais dans ce cas-ci, cette position me semble profondément insatisfaisante pour plusieurs raisons.
Premièrement, il y a le fait que la victime est une personne vulnérable. Il est non seulement d'âge mineur, mais handicapé de surcroît. S'il est non seulement amusant, mais absolument essentiel, que l'on se moque des puissants de ce monde, il semble beaucoup moins justifiable de s'en prendre aux petits et aux gens marginalisés. Alors, faudrait-il interdire qu'on se moque et qu'on ridiculise certains membres de la société, comme les handicapés ou les minorités? Évidemment, cela n'a aucun sens. On ne peut pas rendre illégale la moquerie sous prétexte qu'une personne fait partie d'un groupe dit "vulnérable". D'ailleurs, qui déciderait de ce qui constitue une vulnérabilité? On imagine facilement les dérapages d'une telle initiative.
Deuxièmement, il y a le fait que les moqueries semblent avoir causé de véritables lésions psychologiques au jeune homme. Mais encore une fois, on ne peut tout de même pas légiférer contre toute parole qui heurte autrui! Si on se met à emprisonner toutes les personnes qui ont déjà tenu des propos blessants contre quelqu'un d'autre, aussi bien foutre tout le monde en dedans. Ça n'a pas de sens.
Bref, limiter la liberté d'expression pour criminaliser des paroles "blessantes" envers des individus "vulnérables" n'est pas envisageable pour des raisons qui me semblent évidente. Je vois d'ici les communautés religieuses et les féministes réclamer un statut de "groupe minoritaire vulnérable" qui les mettrait automatiquement à l'abri de toute critique et de toute dérision. Ce serait tout simplement désastreux.
C'est donc avec une certaine amertume que je le dis, mais Ward avait parfaitement le droit de faire ces blagues. Le mauvais goût et la méchanceté ne sont pas et ne devraient pas être des actes criminels.
Est-ce à dire qu'il ne devrait subir aucune conséquence pour le tort qu'il a causé à ce garçon?
Au contraire. J'espère (sans trop y croire) qu'il connaîtra une certaine baisse de popularité et que sa carrière en pâtira. De plus, je crois que la famille du garçon pourrait être justifiée de le poursuivre pour diffamation ou harcèlement, par exemple.
Mais je crois fermement que la liberté d'expression dont nous bénéficions tous est trop précieuse pour être sacrifiée au nom de qui que ce soit, aussi sympathique et vulnérable soit-il. Et si on imposait des limites à la liberté d'expression, c'est toute la société qui serait punie et qui en paierait le prix.
Je le dis sans le moindre plaisir. Mais ce n'est pas parce qu'on abhorre les méchants qu'il faut criminaliser la méchanceté...
Le plus récent exemple est un cas très intéressant pour un paquet de raisons. Mais avant de décortiquer tout ça, un peu de contexte:
Le jeune chanteur Jérémy Gabriel, connu du public sous le surnom du «petit Jérémy», poursuit l'humoriste Mike Ward. Il l'accuse d'avoir brisé sa carrière et allègue que les blagues qu'il a faites à son sujet l'ont mené au bord du suicide. Or, l'enjeu de ce procès, qui a commencé hier au Tribunal des droits de la personne, soulève une question fondamentale: l'humoriste a-t-il outrepassé les limites de sa liberté d'expression?
Habituellement, ma position est sans équivoque: la liberté d'expression ne doit pas être entravée, sauf en cas de propagande haineuse et de menaces. Toutefois, dans ce cas-ci, je dois vous avouer que cette réponse me semble simpliste et insatisfaisante. C'est un signe que la question mérite qu'on s'y attarde.
Mais tout d'abord, si nous voulons vraiment miser sur l'essentiel, mettons de côté trois aspects de l'affaire.
Premièrement, non, je n'aime pas particulièrement Ward, il ne me fait pas souvent rire, mais cela n'a aucune importance. Ce n'est pas la qualité ou le bon goût de ses jokes qui est le coeur de la question.
Deuxièmement, oui, je peux compatir avec la famille du jeune homme. Ayant moi-même une soeur handicapée, je serre les poings à l'idée qu'un humoriste pourrait se moquer d'elle publiquement. Je comprends parfaitement l'indignation de la famille et la douleur du jeune. Mais encore une fois, ce n'est pas ça le coeur de la question.
Troisièmement, d'un point de vue moral, la question est facile à trancher. Il est complètement indéfendable de s'attaquer ainsi à une personne vulnérable. Si j'ai bien compris, Ward s'est attaqué à l'apparence physique du jeune et a insinué qu'il avait fait une fellation au pape. Bref, il tournait en dérision l'apparence physique et la sexualité d'un enfant handicapé. C'est profondément immoral, je pense que cela saute aux yeux de quiconque est doté d'un minimum d'empathie. Mais encore une fois, il n'est pas question de la moralité de l'acte, mais plutôt de sa légalité.
Au-delà de Ward et de ce garçon, la vraie question est de savoir s'il faut ajouter ou non des limites légales à la liberté d'expression.
Comme je le disais plus haut, certaines limites existent déjà. La loi interdit la propagande haineuse et les menaces et je crois que c'est très bien ainsi. Mais dans le cas qui nous intéresse, il ne s'agit ni de l'une, ni de l'autre. Ward n'a pas tenu de propos haineux et il n'a menacé personne. On parle d'un humoriste qui s'est moqué d'une personnalité publique.
Ma position traditionnelle est que la liberté d'expression est sacrée et qu'elle ne doit pas être entravée. Mais dans ce cas-ci, cette position me semble profondément insatisfaisante pour plusieurs raisons.
Premièrement, il y a le fait que la victime est une personne vulnérable. Il est non seulement d'âge mineur, mais handicapé de surcroît. S'il est non seulement amusant, mais absolument essentiel, que l'on se moque des puissants de ce monde, il semble beaucoup moins justifiable de s'en prendre aux petits et aux gens marginalisés. Alors, faudrait-il interdire qu'on se moque et qu'on ridiculise certains membres de la société, comme les handicapés ou les minorités? Évidemment, cela n'a aucun sens. On ne peut pas rendre illégale la moquerie sous prétexte qu'une personne fait partie d'un groupe dit "vulnérable". D'ailleurs, qui déciderait de ce qui constitue une vulnérabilité? On imagine facilement les dérapages d'une telle initiative.
Deuxièmement, il y a le fait que les moqueries semblent avoir causé de véritables lésions psychologiques au jeune homme. Mais encore une fois, on ne peut tout de même pas légiférer contre toute parole qui heurte autrui! Si on se met à emprisonner toutes les personnes qui ont déjà tenu des propos blessants contre quelqu'un d'autre, aussi bien foutre tout le monde en dedans. Ça n'a pas de sens.
Bref, limiter la liberté d'expression pour criminaliser des paroles "blessantes" envers des individus "vulnérables" n'est pas envisageable pour des raisons qui me semblent évidente. Je vois d'ici les communautés religieuses et les féministes réclamer un statut de "groupe minoritaire vulnérable" qui les mettrait automatiquement à l'abri de toute critique et de toute dérision. Ce serait tout simplement désastreux.
C'est donc avec une certaine amertume que je le dis, mais Ward avait parfaitement le droit de faire ces blagues. Le mauvais goût et la méchanceté ne sont pas et ne devraient pas être des actes criminels.
Est-ce à dire qu'il ne devrait subir aucune conséquence pour le tort qu'il a causé à ce garçon?
Au contraire. J'espère (sans trop y croire) qu'il connaîtra une certaine baisse de popularité et que sa carrière en pâtira. De plus, je crois que la famille du garçon pourrait être justifiée de le poursuivre pour diffamation ou harcèlement, par exemple.
Mais je crois fermement que la liberté d'expression dont nous bénéficions tous est trop précieuse pour être sacrifiée au nom de qui que ce soit, aussi sympathique et vulnérable soit-il. Et si on imposait des limites à la liberté d'expression, c'est toute la société qui serait punie et qui en paierait le prix.
Je le dis sans le moindre plaisir. Mais ce n'est pas parce qu'on abhorre les méchants qu'il faut criminaliser la méchanceté...