Oui, le parti conservateur du Canada a érigé un monument à la gloire de son idéologie et de sa version de l'histoire récente.
Réécrire l'histoire est la plus basse, la plus malhonnête et la plus honteuse des méthodes. Qu'elle soit utilisée ouvertement et sans gêne par le gouvernement canadien ne devrait surprendre personne, ils sont passés maîtres dans ce domaine. Mais cette initiative est particulièrement grossière:
Un monument à la droite canadienne
Stephen Harper veut redessiner la mémoire de la Seconde Guerre mondiale avec son «monument aux victimes du communisme»
Yakov Rabkin - Professeur d’histoire à l’Université de Montréal
Le gouvernement Harper a décidé de laisser une trace physique dans la capitale nationale : un «monument aux victimes du communisme». La construction massive en béton armé doit être érigée tout près de la Cour suprême au lieu d’un édifice qui devait accueillir des instances judiciaires fédérales. Des irrégularités et le gaspillage autour de cette initiative ont déjà fait l’objet d’analyses et de critiques. On a souligné également le caractère partisan de ce projet qui doit bénéficier le parti de M. Harper auprès des communautés ethniques provenant de l’Europe de l’Est. Mais ce projet soulève une question plus profonde que la politicaillerie cynique — celle de la mémoire collective que M. Harper veut façonner selon son idéologie. Ce projet fait partie de la transformation radicale de la société canadienne que son gouvernement mène avec une cohérence idéologique sans pareil d’année en année.
Le nom même du monument à venir est emprunté au vocabulaire de la guerre froide. Dans tous les pays socialistes, le communisme restait une vision, un objectif, un avenir à bâtir plutôt qu’une réalité déjà établie. Aucun gouvernement, ni à Moscou, ni à Pékin, ni à Budapest n’a proclamé la victoire du communisme. Néanmoins, parmi les militants occidentaux de la guerre froide, ce terme était devenu un mot d’opprobre courant. Reprendre ces termes vingt-cinq ans après la fin de la guerre froide n’est pas innocent et fait partie de la rhétorique belliqueuse et manichéenne du gouvernement Harper en matière de politique internationale.
(...) À la différence de la chancelière allemande et du président chinois, notre premier ministre a dédaigné la commémoration du 70e anniversaire de la victoire à Moscou en incarnant l’effort conscient d’effacer dans notre mémoire collective le rôle décisif de l’armée soviétique qui luttait durant trois ans toute seule contre l’envahisseur nazi. En même temps, M. Harper est parmi les plus fervents partisans des nationalismes ethniques, souvent antirusses, qui ont réapparu en Europe de l’Est depuis le démantèlement de l’Union soviétique. C’est à l’actuel ministre de la Défense Jason Kenney, un des proches de M. Harper, qu’appartient l’idée de ce monument. Il vient de visiter l’Ukraine, où il a encouragé une confrontation militaire avec la Russie.
(...) À Ottawa, il n’y a pas de monument aux victimes ni des régimes fascistes en Europe, ni du régime nazi en Allemagne. Il n’y a pas de monument aux victimes du colonialisme, y compris du traitement abject des Premières nations que la commission officielle a récemment qualifié de «génocide culturel». Le Canada n’a pas de monument aux victimes des guerres coloniales, dont celle en Afrique du Sud à la fin du XIXe siècle, où les troupes de l’Empire britannique ont introduit une innovation qui s’est vite propagée ailleurs: les camps de concentration (j’en ai vu l’emplacement il y a quelques années). Les victimes de la discrimination ouverte et systématique contre les Asiatiques au Canada mériteraient également un monument à Ottawa. De plus, Elizabeth May du Parti vert a suggéré d’ériger un monument aux victimes du capitalisme aux quatre coins du monde (esclavage, colonisation, exploitation, etc.), que certains estiment à un milliard de personnes.
Vu l’engagement idéologique du Parti conservateur, c’est le monument aux «victimes du communisme» et non à celles du capitalisme qui sera érigé à Ottawa. En essayant d’effacer le rôle de l’Union soviétique dans la lutte contre le nazisme, il cherche à façonner la nouvelle mémoire collective de la Seconde Guerre, tout en renforçant le ressentiment antirusse. Quant aux menaces contre la Russie, M. Harper est le chef de gouvernement occidental le plus belliqueux.
Réécrire l'histoire est la plus basse, la plus malhonnête et la plus honteuse des méthodes. Qu'elle soit utilisée ouvertement et sans gêne par le gouvernement canadien ne devrait surprendre personne, ils sont passés maîtres dans ce domaine. Mais cette initiative est particulièrement grossière:
Un monument à la droite canadienne
Stephen Harper veut redessiner la mémoire de la Seconde Guerre mondiale avec son «monument aux victimes du communisme»
Yakov Rabkin - Professeur d’histoire à l’Université de Montréal
Le gouvernement Harper a décidé de laisser une trace physique dans la capitale nationale : un «monument aux victimes du communisme». La construction massive en béton armé doit être érigée tout près de la Cour suprême au lieu d’un édifice qui devait accueillir des instances judiciaires fédérales. Des irrégularités et le gaspillage autour de cette initiative ont déjà fait l’objet d’analyses et de critiques. On a souligné également le caractère partisan de ce projet qui doit bénéficier le parti de M. Harper auprès des communautés ethniques provenant de l’Europe de l’Est. Mais ce projet soulève une question plus profonde que la politicaillerie cynique — celle de la mémoire collective que M. Harper veut façonner selon son idéologie. Ce projet fait partie de la transformation radicale de la société canadienne que son gouvernement mène avec une cohérence idéologique sans pareil d’année en année.
Le nom même du monument à venir est emprunté au vocabulaire de la guerre froide. Dans tous les pays socialistes, le communisme restait une vision, un objectif, un avenir à bâtir plutôt qu’une réalité déjà établie. Aucun gouvernement, ni à Moscou, ni à Pékin, ni à Budapest n’a proclamé la victoire du communisme. Néanmoins, parmi les militants occidentaux de la guerre froide, ce terme était devenu un mot d’opprobre courant. Reprendre ces termes vingt-cinq ans après la fin de la guerre froide n’est pas innocent et fait partie de la rhétorique belliqueuse et manichéenne du gouvernement Harper en matière de politique internationale.
(...) À la différence de la chancelière allemande et du président chinois, notre premier ministre a dédaigné la commémoration du 70e anniversaire de la victoire à Moscou en incarnant l’effort conscient d’effacer dans notre mémoire collective le rôle décisif de l’armée soviétique qui luttait durant trois ans toute seule contre l’envahisseur nazi. En même temps, M. Harper est parmi les plus fervents partisans des nationalismes ethniques, souvent antirusses, qui ont réapparu en Europe de l’Est depuis le démantèlement de l’Union soviétique. C’est à l’actuel ministre de la Défense Jason Kenney, un des proches de M. Harper, qu’appartient l’idée de ce monument. Il vient de visiter l’Ukraine, où il a encouragé une confrontation militaire avec la Russie.
(...) À Ottawa, il n’y a pas de monument aux victimes ni des régimes fascistes en Europe, ni du régime nazi en Allemagne. Il n’y a pas de monument aux victimes du colonialisme, y compris du traitement abject des Premières nations que la commission officielle a récemment qualifié de «génocide culturel». Le Canada n’a pas de monument aux victimes des guerres coloniales, dont celle en Afrique du Sud à la fin du XIXe siècle, où les troupes de l’Empire britannique ont introduit une innovation qui s’est vite propagée ailleurs: les camps de concentration (j’en ai vu l’emplacement il y a quelques années). Les victimes de la discrimination ouverte et systématique contre les Asiatiques au Canada mériteraient également un monument à Ottawa. De plus, Elizabeth May du Parti vert a suggéré d’ériger un monument aux victimes du capitalisme aux quatre coins du monde (esclavage, colonisation, exploitation, etc.), que certains estiment à un milliard de personnes.
Vu l’engagement idéologique du Parti conservateur, c’est le monument aux «victimes du communisme» et non à celles du capitalisme qui sera érigé à Ottawa. En essayant d’effacer le rôle de l’Union soviétique dans la lutte contre le nazisme, il cherche à façonner la nouvelle mémoire collective de la Seconde Guerre, tout en renforçant le ressentiment antirusse. Quant aux menaces contre la Russie, M. Harper est le chef de gouvernement occidental le plus belliqueux.