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Régime de terreur

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Je ne cesserai jamais d'être ébahi par l'inconscience la plus totale de mes collègues féminines.

C'est tellement simple d'être une femme qui enseigne au primaire. Elles ne ressentent pas la moindre menace, ni le moindre danger. Elles ne sont jamais l'objet de soupçon et on ne remet jamais en question la pureté de leurs intentions. Elles l'ont tellement facile et elles ne s'en rendent absolument pas compte une seule petite seconde.

Et à côté d'elles, je me rends cruellement compte de tout ce qui pèse sur moi. Je me rends compte à quel point les dernières années ont complètement, mais alors complètement anéanti ma tranquillité d'esprit.

Voici trois exemples récents qui illustrent bien leur exquise inconscience.

1- Les glissades d'eau

En août, j'ai été tout simplement horrifié d'apprendre que la tradition à ma nouvelle école était d'amener les élèves de 6e année aux glissades d'eau à la fin de l'année scolaire. Mes collègues n'y voient pas le moindre problème, évidemment. Elles vont aller passer la journée en maillot à glisser avec les enfants, c'est tout. Elles ont hâte d'aller s'amuser avec leurs élèves.

Moi, dès que j'ai entendu parler de cette sortie, environ 12 alarmes se sont mises à sonner dans ma tête. Être en présence de pré-ados hyper "self-conscious" en maillots de bain? En porter un moi-même en leur présence? Complètement impensable. Des dizaines de scénarios-catastrophes se sont mis à débouler dans mon esprit. Regards mal interprétés, contact physique accidentel monté en épingle, mensonges susceptibles d'être pris  au sérieux, regards désapprobateurs des collègues... j'ai ressenti une intense panique juste à y penser. Pas question de me rendre aussi vulnérable!

N'allez pas croire que je suis paranoïaque. Les lecteurs de longue date de ce blogue connaissent les accusations dont j'ai été l'objet pour bien moins que ça.

Je pense que ce qui m'écoeure le plus, c'est que ce type de scénario me vienne maintenant automatiquement en tête, comme une éventualité probable. C'est dégueulasse parce qu'au début de ma carrière, ça ne m'aurait jamais traversé l'esprit. Aller aux glissades d'eau avec les élèves? Cool, on va bien rigoler. Maintenant, ce n'est plus comme ça. Je dois vivre chaque journée en me rappelant qu'à n'importe quel moment, le moindre geste pourra être mal interprété et m'anéantir. Et il ne s'agit pas d'une crainte sans fondements, je SAIS que ça peut m'arriver parce que JE L'AI VÉCU.

Bref, j'ai tout fait pour essayer de faire remplacer cette activité maudite... sans succès. J'irai donc aux glissades d'eau avec mes élèves la semaine prochaine. J'ai songé à m'absenter, mais comme c'est la dernière journée d'école de l'année, ce serait très, très mal vu. Alors j'ai élaboré un plan B. Les enfants m'ont demandé si je glisserais avec eux. Je leur ai répondu que j'aimerais vraiment pouvoir le faire, mais que des problèmes de santé (mon arythmie cardiaque) m'en empêchent. C'est une demi vérité car, bien qu'il soit vrai que je suis atteint de tachycardie supraventriculaire, ça ne m'empêcherait nullement d'aller aux glissades d'eau.

Je vais donc me trouver un coin ombragé, je vais m'asseoir et je vais m'apporter un livre. Je vais essayer d'être le plus distant, le plus invisible et le plus incognito possible. Évidemment, ceci me cause un certain dilemme moral puisque je trouve bien peu éthique d'être payé toute une journée à essentiellement éviter mes élèves. Mais dans les circonstances, je serais complètement fou de ne pas le faire. J'essaie d'apaiser ma conscience en me disant qu'après toutes les innombrables heures non-rémunérées que j'ai données à mon employeur cette année, ce n'est pas une journée de lecture qui fera de moi un parasite du système.

2- Le bal des finissants

Cette semaine a eu lieu une autre tradition qui existe depuis longtemps dans cette école: le bal des finissants de 6e année. Encore une fois, j'étais totalement paniqué quand j'ai entendu parler de cet événement, mais comme il s'agit d'une tradition à laquelle beaucoup de gens tiennent, j'ai été incapable de faire accepter une alternative. Ils avaient loué une salle et il s'agissait essentiellement d'une danse.

Évidemment, dès que les lumières ont été tamisées et que la musique a commencé, je me suis éclipsé de là en vitesse. Pas question d'être à proximité d'enfants dans le noir! Je suis allé me poster dans le hall d'entrée de l'édifice, sous prétexte que personne ne surveillait cet emplacement et que "quelques élèves avaient tenté de quitter les lieux sans permission". Ce n'est pas faux, il y en a effectivement quelques-uns qui voulaient sortir à l'extérieur pour prendre un peu d'air et il n'y avait bien aucun adulte dans les parages.

Beaucoup de gens (élèves, enseignantes et mères) sont venues me demander ce que je faisais là et m'ont dit que j'étais vraiment plate de ne pas aller danser. Je leur ai expliqué que la sécurité des enfants devait être ma priorité. Deux adultes (une mère et une enseignante) ont offert de me remplacer, je les ai remerciées et j'ai gentiment décliné l'offre. Je suis convaincu que beaucoup de gens m'ont trouvé distant, antisocial et casseux de party... mais je préfère ces quolibets à l'alternative.

À la fin de la danse, alors que les enfants enlaçaient leurs amis et enseignantes, moi j'étais à l'abri dans l'entrée. Ces démonstrations physiques d'appréciation et de tendresse sont beaucoup trop dangereuses pour moi.

3- Dormir à l'école

Une de mes collègues a décidé de passer la nuit à l'école avec ses élèves. Ils ont tous dormi dans le gymnase cette semaine et elle était seule avec eux. J'aurais pu me joindre à l'activité si j'avais voulu... mais encore une fois, cela aurait été carrément suicidaire. DORMIR à l'école avec des ENFANTS? Une fois de plus, toutes mes alarmes sonnaient à l'unisson et une dizaine de scénarios catastrophes déboulaient dans mon esprit.

Mes élèves étaient très déçus et tristes de ne pas pouvoir dormir à l'école comme leurs camarades de l'autre classe, mais malheureusement pour eux, ils sont tombés sur un prof masculin qui ne peut tout simplement pas se permettre de faire de telles activités avec eux.

Jadis, lorsque j'étais plus jeune, plus naïf et plus innocent, je l'aurais fait. D'ailleurs, j'ai déjà amené certaines de mes classes dormir au Biodôme, il y a plusieurs années de cela. C'était une expérience tout simplement géniale. Mais après ce que j'ai vécu, il n'en est absolument plus question.

Voilà ce que ça signifie d'être un enseignant masculin qui travaille au primaire. Voilà ce que ça implique.

Tu te sens comme un chien dans une bergerie qui doit sans cesse démontrer et prouver à tout le monde qu'il n'est pas un loup. Mais quoi que tu fasses, quoi que tu dises et peu importe le nombre d'années passées à démontrer la pureté de tes intentions, tu n'es jamais tranquille. Il suffit qu'une seule personne interprète mal le geste le plus anodin pour que tous les regards se braquent sur toi et que tous les soupçons s'éveillent en trombe.

Messieurs, si vous accordez de la valeur à votre tranquillité d'esprit, ce métier n'est pas pour vous.




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