La question peut sembler complètement loufoque, mais il semblerait qu'elle ne le soit pas. En effet, une docteure en littérature soupçonne qu'après son internement, des poèmes attribués à Nelligan aient plutôt été écrits par quelqu'un d'autre!
Extrait de l'article:
Comment Nelligan peut-il ne pas être l’auteur de son œuvre?
Il n’en avait pas l’étoffe. Le jeune homme n’avait aucune culture littéraire. Les rares lettres de sa main parvenues jusqu’à nous sont truffées de fautes. Ses bulletins aussi en témoignent: il était dernier de classe en français. De plus, il était très malade. Il y a des limites à ce qu’un adolescent réussisse une œuvre aussi considérable que la sienne en deux ans. On l’a comparé à Arthur Rimbaud. Or, Rimbaud remportait des concours de composition latine à 15 ans !
Je ne dis pas que Nelligan n’a rien écrit, mais qu’il n’a laissé que des ébauches. Quelqu’un est passé derrière lui et a tout réécrit: Eugène Seers. Ce n’était un secret pour personne: Nelligan et Seers se voyaient souvent et travaillaient ensemble. En 1904, quand Seers fait publier l’œuvre de Nelligan, dont il signe la préface dithyrambique, il sait que le jeune homme ne sortira jamais de l’asile. Cette édition lancera la carrière du poète, même s’il est interné depuis cinq ans et qu’il n’écrira plus une seule ligne de sa vie.
Quelle a été la part du mentor dans les poèmes d’Émile Nelligan?
Impossible de le dire avec précision, car les archives manuscrites de Nelligan sont disparues. Sa mère ne les a pas conservées. Cette lacune elle-même est suspecte. Quand on a un génie dans la famille, on fait attention à ses textes…
Autre embûche, Eugène Seers tenait lui-même à occulter son influence. Il a sans cesse brouillé les pistes. C’était la seule façon, pour lui, de faire de la poésie. Tout ce que l’Église lui permettait de publier, c’étaient des essais sur des thèmes mystiques. Il en a d’ailleurs écrit quelques-uns, regroupés dans le recueil Franges d’autel. Défroqué, il s’est surtout fait connaître comme critique littéraire, le plus souvent sous le pseudonyme de Louis Dantin.
(...) À mon avis, Seers s’est fait prendre au jeu. Il a d’abord changé un mot ici et là, puis il en est venu à réécrire un poème entier, puis un autre. Il a finalement occulté Nelligan. Un peu comme Cyrano de Bergerac, qui fait un pacte avec Christian de Neuvillette, Eugène aurait pu dire à Émile: «J’irai dans l’ombre à ton côté. Je serai ton esprit, tu seras ma beauté.»
Quand vous est-il apparu évident que Seers était derrière Nelligan?
Lorsque je travaillais à l’édition critique de l’œuvre de Seers (...) Quand on lit Dantin et Nelligan, la similitude des poèmes saute aux yeux. Seers avait lu la multitude des ouvrages qui sont censés avoir inspiré Nelligan. Il possédait une immense culture livresque, de Confucius à George Bernard Shaw… Les thèmes chers à Nelligan sont empruntés à son imaginaire : la mort, les cimetières, l’errance, les mazurkas de Chopin. Un exemple, le cœur du Vaisseau d’or (Nelligan) et celui de la Complainte du cœur noyé (Dantin) sont tous deux «désertés» et «déchirés» entre l’aspiration à s’élever, «à toucher l’azur», et à se perdre dans la mer. Le thème du naufrage est d’ailleurs omniprésent chez Seers, qui a dû subir l’opprobre de la famille en quittant les ordres et en menant une vie, disons, moralement discutable. Il sera un naufragé toute sa vie. C’est lui qui «a sombré dans l’abîme du rêve».
Je ne sais pas si je trouve ces arguments convaincants, mais la possibilité est tout de même intrigante...
Extrait de l'article:
Comment Nelligan peut-il ne pas être l’auteur de son œuvre?
Il n’en avait pas l’étoffe. Le jeune homme n’avait aucune culture littéraire. Les rares lettres de sa main parvenues jusqu’à nous sont truffées de fautes. Ses bulletins aussi en témoignent: il était dernier de classe en français. De plus, il était très malade. Il y a des limites à ce qu’un adolescent réussisse une œuvre aussi considérable que la sienne en deux ans. On l’a comparé à Arthur Rimbaud. Or, Rimbaud remportait des concours de composition latine à 15 ans !
Je ne dis pas que Nelligan n’a rien écrit, mais qu’il n’a laissé que des ébauches. Quelqu’un est passé derrière lui et a tout réécrit: Eugène Seers. Ce n’était un secret pour personne: Nelligan et Seers se voyaient souvent et travaillaient ensemble. En 1904, quand Seers fait publier l’œuvre de Nelligan, dont il signe la préface dithyrambique, il sait que le jeune homme ne sortira jamais de l’asile. Cette édition lancera la carrière du poète, même s’il est interné depuis cinq ans et qu’il n’écrira plus une seule ligne de sa vie.
Quelle a été la part du mentor dans les poèmes d’Émile Nelligan?
Impossible de le dire avec précision, car les archives manuscrites de Nelligan sont disparues. Sa mère ne les a pas conservées. Cette lacune elle-même est suspecte. Quand on a un génie dans la famille, on fait attention à ses textes…
Autre embûche, Eugène Seers tenait lui-même à occulter son influence. Il a sans cesse brouillé les pistes. C’était la seule façon, pour lui, de faire de la poésie. Tout ce que l’Église lui permettait de publier, c’étaient des essais sur des thèmes mystiques. Il en a d’ailleurs écrit quelques-uns, regroupés dans le recueil Franges d’autel. Défroqué, il s’est surtout fait connaître comme critique littéraire, le plus souvent sous le pseudonyme de Louis Dantin.
(...) À mon avis, Seers s’est fait prendre au jeu. Il a d’abord changé un mot ici et là, puis il en est venu à réécrire un poème entier, puis un autre. Il a finalement occulté Nelligan. Un peu comme Cyrano de Bergerac, qui fait un pacte avec Christian de Neuvillette, Eugène aurait pu dire à Émile: «J’irai dans l’ombre à ton côté. Je serai ton esprit, tu seras ma beauté.»
Quand vous est-il apparu évident que Seers était derrière Nelligan?
Lorsque je travaillais à l’édition critique de l’œuvre de Seers (...) Quand on lit Dantin et Nelligan, la similitude des poèmes saute aux yeux. Seers avait lu la multitude des ouvrages qui sont censés avoir inspiré Nelligan. Il possédait une immense culture livresque, de Confucius à George Bernard Shaw… Les thèmes chers à Nelligan sont empruntés à son imaginaire : la mort, les cimetières, l’errance, les mazurkas de Chopin. Un exemple, le cœur du Vaisseau d’or (Nelligan) et celui de la Complainte du cœur noyé (Dantin) sont tous deux «désertés» et «déchirés» entre l’aspiration à s’élever, «à toucher l’azur», et à se perdre dans la mer. Le thème du naufrage est d’ailleurs omniprésent chez Seers, qui a dû subir l’opprobre de la famille en quittant les ordres et en menant une vie, disons, moralement discutable. Il sera un naufragé toute sa vie. C’est lui qui «a sombré dans l’abîme du rêve».
Je ne sais pas si je trouve ces arguments convaincants, mais la possibilité est tout de même intrigante...